Mes arbres : 1- Le chêne de l’entrée

Le possessif n’indique pas ici une domination, mais l’attachement que je leur porte. Certains sont plus âgés que moi, d’autres je les ai installés, mais sauf maladie ou accident la plupart me survivront.

Peu de choses sont dans ma relation à la nature plus plaisantes que de voir pousser et prospérer un arbre, de suivre saison après saison les feuilles qu’il émet, les fruits qu’il porte. Comestibles ou non. Voilà pourquoi beaucoup ne figurent toujours pas dans l’herbier : j’attends ces fruits. Leur écorce s’épaissit ou se fissure, leur forme reste tantôt étonnement la même, tantôt est bouleversée par le vent qui casse une branche, les attaques d’insectes ou de champignons, l’apparition de rejets plus vigoureux que le sujet initial.

Chacun est un milieu de vie qui supporte, héberge, nourrit une multitude de végétaux, animaux, mousses, lichens, champignons…

Chacun est aussi l’élément d’un ensemble plus vaste avec lequel il entretient des relations de voisinage (ombre, protection mutuelle conte le vent…) mais aussi des liens d’échange, ne serait-ce que par les réseaux de champignons mycorhiziens.

Je ne sais pas si le bien qu’ils me font est chimique, bactériologique ou psychologique, mais il est indéniable. Et bien que je n’ignore pas tout ce qu’il nous reste à découvrir sur nos propres interactions avec le milieu naturel dont ils sont le plus révéré symbole, je m’abstiendrai de tout anthropomorphisme. J’avoue pour autant que j’aime passer la main sur leur tronc, effleurer des doigts leur feuillage, soupeser leurs fruits. Et je leur parle…

Le chêne de l’entrée

C’est un chêne pédonculé qui accueille les visiteurs à l’entrée de la forêt-jardin. Il répond à celui de la pointe nord, chacun trônant à une extrémité de l’axe central que matérialise en partie haute l’allée des charmes.

En bordure de route et à l’entrée de l’ancienne prairie, il a subi des élagages un peu sauvages en partie basse, à l’épareuse. Il n’a pas pour autant été conduit en émonde (taille en cierge) ce qui était fréquent en pays de bocage comme le Ségala. Cela l’a privé des grosses branches basses horizontales caractéristique de l’espèce, mais au-delà s’épanouit un beau houppier.  Quel âge a-t-il ? Peut-être un siècle ? A 1m30 son tronc fait 2m de circonférence.

Il donne tous les deux ou trois ans des glandées d’une importance parfois étonnante : le sol en est couvert. C’est alors un hiver d’abondance pour oiseaux, rongeurs, qui consomment, dispersent, stockent. J’ai retrouvé une cache de plusieurs kilos soigneusement arrangée par des mulots ! Comme ces glands sont relativement doux, j’en profite moi aussi (pour faire des biscuits : https://foretjardinlandassou.wordpress.com/2021/10/02/recettes/)…

Glands échappés aux amateurs volants, caches oubliées : ce chêne est probablement le père de la plupart de ceux qui germent un peu partout dans la forêt-jardin (les autres géniteurs potentiels sont trop jeunes). J’en garde certains, libres ou conduits en trogne, j’en élimine aussi quand je les repère à temps : dès la seconde année, leur racine pivot empêche de les arracher.

Les passants doivent me prendre pour un doux dingue quand ils me voient face au tronc, le nez au ras de l’écorce… C’est que le poste d’observation est bon : insectes, lichens, y abondent en toute saison, et les oiseaux plus haut, que je tente d’apercevoir à travers le feuillage ou le fouillis des branches.

Je ne sais pas comment il pourra faire face aux modifications climatiques. Il semblerait que les chênes pédonculés soient en régression dans le Sud-Ouest mais peut-être l’altitude lui sera-t-elle bénéfique. Et quels effets la modification des quantités et du régime des précipitations aura-t-elle sur l’oïdium dont les atteintes sont encore limitées ?  Le Ségala de ce point de vue est à la fois une zone de transition entre les milieux de plaine du Sud-Ouest et les montagnes du Massif Central, et une région éclatée en une multitude de micro-climats : difficile de prévoir quelles évolutions affecteront la forêt-jardin !

Pour les bestioles, voir : https://foretjardinlandassou.wordpress.com/2021/09/07/biodiversite/

Pour l’herbier, voir : https://foretjardinlandassou.wordpress.com/2023/01/02/herbier/

Pour les lichens, voir : https://foretjardinlandassou.wordpress.com/2024/02/05/fascinants-lichens/

Pour le Ségala : https://foretjardinlandassou.wordpress.com/2023/10/29/bienvenue-en-segala/

Et sur les effets du changement climatique sur le chêne pédonculé : https://infodoc.agroparistech.fr/doc_num.php?explnum_id=3417#:~:text=Le%20d%C3%A9p%C3%A9rissement%20des%20ch%C3%AAnes%20p%C3%A9doncul%C3%A9s,de%20sant%C3%A9%20de%20cette%20essence

A suivre…

Fascinants lichens

Longtemps méprisés, les lichens étaient tenus pour une peste, voire un « excrément de la terre ». Certains continuent d’ailleurs à croire qu’il faudrait les éliminer des troncs pour la santé des arbres. Seule l’esthétique peut justifier de les brosser d’une écorce décorative. Mais eux-mêmes ne sont-ils pas splendides : vus de près, quels paysages fantastiques !

Ce ne sont pourtant pas des parasites : ils ne pénètrent pas le support sur lequel ils s’installent, ni ne lui ponctionnent le moindre nutriment, à la différence du gui ! Il suffit de voir les lichens coloniser ferrailles ou rochers pour s’en convaincre…

Longtemps aussi, on les a confondus avec les algues : c’était encore le cas de Linné au XVIIIe siècle. Les lichens sont en fait la symbiose parfaite entre un champignon et une algue. L’algue se développe dans l’intérieur du lichen, le champignon l’enrobe et chacun apporte à la communauté selon sa nature : l’algue produit du glucose et le champignon apporte eau, sels minéraux et protection contre l’extérieur. Le champignon, qui fixe le lichen sur son support et assure sa reproduction, semble bien être dominant dans l’association.

Depuis peu, la génétique a permis d’identifier un troisième larron en surface de l’ensemble : des levures* ! [* Voir en commentaire]

Les lichens sont présents dans tous les milieux. Mieux encore, ils sont la première forme de vie qui colonise les zones les plus ingrates, formant peu à peu le sol sur lequel pourront s’installer plus tard mousses et plantes.

On regroupe les lichens en trois principales catégories : crustacés (en croûte étroitement fixée au support), foliacés (présentant une apparence de feuilles plus ou moins plaquées au support) et fruticuleux (formant comme un buisson miniature fixé au support par un point unique). Et une grande diversité de couleurs, de formes, d’organes de reproduction.

Lichens crustacés
Lichens foliacés et fruticuleux

Sans compter que l’apparence du lichen varie aussi fortement en fonction de son âge, de son exposition à la lumière ou à l’humidité.

Ce lichen jaune d’or en plein soleil prend une teinte verdâtre à l’ombre

Il existe en Europe plusieurs milliers de lichens, dont la détermination est, aux yeux du profane que je suis, très complexe ; il y faut souvent la loupe binoculaire ou le microscope. A défaut, l’aide des connaisseurs sur Internet est plus que précieuse !

Aussi serai-je très prudent dans la détermination des lichens de la forêt-jardin. Il me faudra d’abord les trouver, puis les identifier au mieux. Comme pour l’herbier, je fais appel à mes lecteurs : s’il se trouve parmi eux des lichénologues avertis, qu’ils aient l’amabilité de me signaler les erreurs que je ne manquerai pas de faire, afin que je les corrige !

Mouillé, ce lichen prend un vert vif qui aide à son identification

La plupart des lichens étant inséparables de leur support sans une violence que la morale réprouve, les fiches de présentation diffèreront de celles des plantes par l’utilisation d’une photo in situ. En outre, une conséquence du persistant manque de reconnaissance des lichens est que la plupart n’ont pas de nom vernaculaire. Il ne figurera donc sur l’étiquette que par exception.

Peaux d’arbres : les écorces

L’hiver est la saison idéale pour s’intéresser à l’écorce des arbres, ni fleurs ni feuillages ne nous détournant d’en admirer les motifs.

L’écorce est la peau des arbres, dit-on couramment. Elle joue aussi le rôle de muscle, sa croissance différenciée contribuant à rendre sa position verticale à un jeune arbre qui aurait ployé.

Dirait-on que ses premières années cet érable poussait incliné à 45° ?

L’écorce se développe depuis les couches internes du cambium et contient de nombreux composés chimiques qui protègent l’arbre (et sont d’un usage fréquent en phytothérapie tel l’acide salicylique de l’écorce des saules dont on a tiré l’aspirine et que les animaux broutent spontanément).

Elle absorbe aussi une partie des éléments que lui apportent l’air ou la pluie, et se charge donc parfois en polluants qui seront relâchés lorsque l’arbre mort ou abattu se sera décomposé ou aura été brûlé…

A la forêt-jardin, hormis quelques chênes et le vieux merisier mourant de l’entrée, on ne peut encore admirer que des écorces juvéniles, qui commencent sur certains arbres à s’épaissir, craqueler, se fissurer ; encore un sujet d’observation de l’évolution du vivant à suivre sur des années !

Ecorce de jeune chêne…
et écorce de vieux chêne !

L’écorce des vieux arbres est un incroyable milieu de vie, où se bousculent insectes et oiseaux, et tout ceux que nous ne voyons pas, virus et bactéries. S’y établissent aussi lichens et champignons.

Les fourmis ont trouvé ce qui leur convient dans une crevasse de l’écorce du chêne : mais quoi ?

A l’exception des lichens, ces hôtes ne se contentent pas de s’accrocher à l’extérieur de l’arbre, ils le pénètrent plus ou moins profondément, profitant de la moindre blessure ; un arbre sain pourra y résister, sinon sa fin en sera hâtée.

Blessure de coupe en voie de guérison sur le vieux chêne : le cambium a émis un cal, et l’écorce achèvera le travail
Blessure sur le tronc d’un charme, peut-être une attaque de virus. Si l’arbre ne meurt pas, il deviendra certainement creux
Le polypore soufré qui s’est installé sur le vieux merisier le dévore jusqu’au cœur 

En tout cas, quelle variété de couleurs et de dessins (et je ne présente que des espèces très courantes) ! Saurez-vous reconnaître l’arbre à son écorce ?

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Réponses :

1- Charme

2- Cyprès de Provence

3- Bouleau

4- Cerisier

5- Robinier faux acacia

6- Erable sycomore

7- Sureau

8- Erable plane

9- Frêne

10- Nashi

11- Cognassier

12- Saule marsault

La vie des herbes mortes

Ca n’est pas propre, me dit-on. Et si on ne me le dit pas, je l’entends quand même…

Mais les herbes sèches font partie du paysage à la forêt-jardin, de l’été au printemps suivant, soit la plus grande partie de l’année. Ensuite leur fragilité, la neige et le vent les couchent, elles retournent au sol.

Les graines qui y demeuraient encore peuvent à leur tour germer. Leur tapis protège également des variations de températures les plantes pionnières au printemps : le sol, moins réchauffé par les premiers rayons de soleil, les retient de pousser trop vite, et, moins sensible aux gels tardifs, sauve les imprudentes.

Je pourrais accélérer le processus en fauchant, mais ce n’est pas la philosophie du lieu, et ce serait ignorer l’utilité des herbes et fleurs sèches, comme garde-manger, comme abri aussi pour la microfaune et pour les oiseaux. Au sol ce sont les tariers pâtres qui nidifient dans le camouflage des herbes. Plus haut, on ne peut ouvrir une tête de carotte sauvage sans y trouver une colonie de coccinelles qui y ont établi leur dortoir !

https://foretjardinlandassou.wordpress.com/2021/09/07/biodiversite/

De l’été à l’automne, les punaises arlequin s’y installent aussi à demeure, mais elles n’y dîneront plus guère après octobre ; c’est la sève des tiges ou des jeunes graines qu’elles sucent avec leur rostre. Elles vont se cacher ailleurs pour l’hiver.

Comme celles des autres herbes sèches, les graines que les oiseaux auront négligées tombent peu à peu au sol, au gré des intempéries. Là, d’autres insectes, comme les fourmis, se les partagent avec les campagnols.

Et puis apprenons à apprécier la beauté des herbes sèches, qui accroche si bien la lumière de la « morte saison ».

Sans compter que, pour que les allées jouent leur rôle, il faut bien qu’elles soient bordées !

https://foretjardinlandassou.wordpress.com/2023/02/25/pourquoi-des-allees/

Les herbes mortes sont donc partie intégrante des équilibres biologiques et de l’esthétique modeste de la forêt-jardin. Modeste mais punk !

Magie des bourgeons

Evidemment, en fin d’hiver, tout le monde cherche les bourgeons, on tirerait presque dessus pour les faire pousser plus vite et hâter le printemps…

S’y ajoute l’inquiétude de savoir si les plantes qui ont souffert de la sécheresse l’année précédente auront survécu (mais ne vous pressez pas d’arracher ce qui vous semble mort, même si la ramure est desséchée, beaucoup d’arbustes et même d’arbres peuvent repartir de souche).

Le trapu bourgeon de l’alisier torminal annonce une pousse vigoureuse.
Celui du lilas est encore plus impressionnant, mais c’est un bourgeon floral : chacun contient  une grappe de plus de cent fleurs !
Ce bourgeon d’églantier n’y tient plus : les écailles se sont ouvertes, et la pousse annonce un déploiement imminent !
On différencie les charmes des hêtres par leurs feuilles :  « être poilu est le charme d’Adam », les feuilles du charme sont légèrement dentées, celle du hêtre bordées de  poils. A défaut de feuilles, il suffit de comparer les bourgeons, ce qui est pratique quand on veut en repiquer pendant le repos végétatif.. Ils sont petits, trapus et collés à la brindille chez les premiers…
… longs, effilés et nettement divergents chez les seconds.
C’est la pousse des bourgeons qui déclenche la chute des dernières feuilles du chêne, qui est dit marcescent. Je ne sais plus quel conte disait qu’il retenait ses feuilles jusqu’au printemps pour soutenir un enfant malade ?…

Mais les bourgeons peuvent être nettement plus étranges !

Le bourgeon du fusain est de forme classique, mais son vert de porcelaine lui confère une grande délicatesse.
En voilà un qui fait très animal, avec son pelage légèrement mité… Sorbier des oiseleurs.
Il ne manque à l’osier que la parole !
Méphistophélique bourgeon de viorne lantane.
Croisement entre un tyranosaure, un palmier et le monstre d’Alien ? Juste une ronce aux feuilles bronzées par le froid qui s’apprête à conquérir l’espace !
Les bourgeons de cyprès aussi ont un côté animal, mais plutôt du côté crustacé !

Encore un peu de patience, l’hiver s’en va !

Herbier

Champignons

Ils ont commencé à montrer leur chapeau au bout d’une demi-douzaine d’années. Je suppose bien qu’il y en avait avant, mais minuscules ou trop bien dissimulés, je ne les avais pas vus…En tout cas les champignons sont de plus en plus nombreux, variés et visibles.

C’est une excellente nouvelle !

Pas pour leur apport culinaire : certains sont comestibles (vérifié !) mais la plupart sont douteux ou sans intérêt (vérifié aussi…).  C’est pour leur rôle dans l’équilibre biologique de la forêt-jardin et l’établissement d’un écosystème riche et complet.

Les champignons sont l’alimentation exclusive ou occasionnelle de nombreux animaux, insectes, mollusques, rongeurs, et de bactéries. Ils contribuent donc à la biodiversité animale. Les grands mammifères les consomment aussi, mais chevreuils et sangliers n’entrent pas dans la forêt-jardin et l’homo votre serviteur est juste assez sapiens pour se méfier.

La dégradation des végétaux en humus est un rôle encore plus important des champignons qui rendent ainsi au sol les éléments minéraux indispensables à la biodiversité végétale. Ils s’attaquent au bois, aux feuilles ou aux herbes mortes. Parfois ils parasitent les arbres blessés ou mourants, certains profitant de l’aubaine, d’autres provoquant ou accélérant le processus.

Mais le rôle probablement le plus impressionnant est celui des champignons mycorhiziens, qui vivent en symbiose avec les arbres (et la plus grande partie des plantes, en fait) : les arbres fournissent des sucres, acides aminés, vitamines, les champignons des minéraux et de l’eau. Les échanges se font par le mycélium, l’appareil souterrain des champignons, qui établit le contact avec les racines. On appelle mycorhizes cette association symbiotique des racines et du mycélium. Cela forme des réseaux de quelques mètres carrés à plusieurs hectares, qui sont essentiels à la vie de chacun des végétaux, multipliant jusqu’à dix fois la surface exploitée par les racines. Plus encore, les mycorhizes connectent les plantes, arbustes, arbres, établissant ce que certains ont nommé « wood-wide web » : en assurant la circulation des ressources, cela permet aux plus faibles ou aux moins bien placés de bénéficier d’une meilleure part des ressources du milieu. Une forme de la solidarité du vivant, que nous avons trop longtemps oubliée. De solidarité systémique, évidemment, pas morale, ne versons pas dans l’anthropomorphisme…

Et c’est pourquoi je me réjouis de voir plein de champignons, en imaginant le rôle que jouent sous mes pieds les centaines de milliers de kilomètres de filaments microscopiques du mycélium ! C’est un des éléments qui participent du lent passage d’un sol arable à un sol forestier, la mycorhization étant beaucoup plus faible dans les premiers que dans les seconds.

J’ai essayé de me faire aider pour l’identification des différentes variétés rencontrées. Dans certains cas c’est assez aisé, très souvent délicat ou sujet à confusions. Raison suffisante pour admirer sans se précipiter à l’omelette…

Rosé des prés, sans doute
Laccaires laqués, peut-être
Laccaires aussi, me dit-on
Polypore soufré, probablement
Bolet des bouviers, pas sûr
Boutons de guêtre, fort possible
Bolets – de Quélet, qui sait ?
Bolets rougeâtres, ou juste timides
Marasmes des chaumes, très certainement
Russules, mais lesquelles ?
Bolet à pied rouge, presque à coup sûr
Mycène jaune pâle ?
Trémelle déliquescente, minuscule, colorée, mais peu attirante !
Le schyzopylle commun (Schyzophyllum commune Fr., 1815), un tueur d’arbres, d’apparence délicate mais d’une résistance extrême !
Resupinatus trichotis (Persoon) Singer 1961 n’a pas de nom vernaculaire, semble-t-il…

Beauté de peu

La forêt-jardin offre souvent des paysages plaisants dans leur globalité, mélange de plantes variées, belles lumières, perspectives attirantes. Mais il faut savoir s’arrêter sur d’infimes détails : structures, trames, formes simples, éléments microscopiques.

Alors quand trop de sècheresse ou d’humidité, la grisaille ou le soleil écrasant rendent difficile d’apprécier les vues d’ensemble, cet émerveillement du détail est une forme de consolation. Beauté de peu, mais tant de beauté !

Tiges annuelles d’un osier taillé en têtard
Jeune cerisier sauvage grignoté par une chenille (ou plusieurs)
Mise en abyme de fleur de carotte sauvage
Sphère parfaite d’une fleur de chardon
Pousse axiale de cormier se déployant en fleuron gothique
Queue de lézard
Fleur de carotte sauvage en début d’épanouissement
Calade de la serre enterrée
Grande pervenche frangée de givre
Ferronnerie à la porte du jardin japonais
Fruits de l’aulne glutineux
Capsule de graines de cyclamen
Squelette de fleur d’hortensia après l’hiver
Perles de pluie
Œufs de punaises éclos sur une inflorescence d’arbre aux faisans
Lumière du soir à travers les branches d’un saule

Rose printemps

« La couleur dominante du jardin est le vert et tout le reste n’est qu’une question d’ornement assez secondaire » : lorsque je suis tombé, il y a presque vingt ans, sur cette citation de Robert Dash, peintre et jardinier américain, il m’a semblé que s’éclairait l’évolution informulée de mon goût pour les jardins. La gamme des verts me suffirait presque, surtout étendue avec un peu de mauvais esprit  du vert-presque-blanc du revers des feuilles de saule au vert-violacé du bugle rampant et encore au noir-encore-vert des feuilles âgées du lierre dans la pénombre.

Des goûts et des couleurs…

Je n’imagine même plus semer escholtzias ou soucis ; l’orange se supporte à l’automne, quand la perspective des grisailles conduit à apprécier toute débauche colorée. Sucres lents. Je ne supporte guère le jaune – du vert vif, pourtant, mais qui donne trop sur l’orange abhorré- qu’au début du printemps, quand crocus, jonquilles ou coucous trompettent le retour des beaux jours. C’est bien assez trompeter… Et j’ai arraché un rosier rouge qui avait le malheur de ne pas même pouvoir prétendre être seulement rose soutenu !

Comme en toute chose, etc., il faut bien d’autre couleur que le vert. Ornement, dit Dash. Il y a des fleurs à la forêt-jardin, celles qui sont venues et celles que j’ai installées. Les premières sont bien maîtresses d’exprimer leurs préférences colorées, pour les secondes mon choix porte plutôt vers le rose, le mauve, le bleu.

Le rose, justement : après le printemps jaune (jonquilles, suivies par les coucous et encore ces jours-ci les boutons d’or), après le printemps blanc (fleurs de pruniers, aubépines), c’est le moment du rose. Fleurs de pêchers il y a déjà quelques semaines, fleurs simples ou raffinées,  mais surtout premiers élans des tiges et feuilles nouvelles qui ne se sont pas encore mises au vert. Quelques jours à peine avant que la chlorophylle impose sa loi, un peu de fragile timidité, et puis la vie va imposer la production de branches, de feuillages, de fruits. De vert.

Le rose, donc :

Les fleurs de pulmonaires s’ouvrent une à une, d’abord rose bonbon, et passent en quelque jours au magenta (c’est encore du rose) puis au bleu
Le pommier sauvage fleurit un bon mois avant les variétés cultivées : rose cuisse de nymphe et même, sur les bords, cuisse de nymphe émue !
Loropétale à fleurs rose fuchsia, cousin du jaune hamamélis
Jeunes feuilles de la fausse spirée à feuilles de sorbier, le premier sourire du printemps : rose coquille d’œuf
Nouvelles feuilles du nashi : rose thé
Pousses du chêne d’Amérique par temps ensoleillé : vieux rose
Le même par temps couvert : rose boudoir
Ecailles foliaires de charme : rose framboise
Les jeunes pousses d’aubépine passeront-elles encore pour roses ?
Et celles du prunier ?
Pas de contestation admise par contre pour les nouvelles feuilles de poirier : entre le rose thé et le rose poudré
Quant aux dégâts de la cloque du pêcher, mieux vaut en admirer l’esthétique plutôt que se lamenter, il n’y a pas grand-chose à faire…
J’admets que les pousses de pin sylvestre soient davantage contestables. Disons : rose saumon légèrement passé…
La houlque laineuse décore avec légèreté les soirs de printemps

Jeunes pousses

Le printemps se fait attendre : gel tardif cette année encore, pluies particulièrement irrégulières, on a du mal à discerner dans quel sens la nature cherche un nouvel équilibre.

Mais mieux vaut éviter les figures de style abusives : la nature ne cherche pas, un nouvel équilibre s’établira à l’échelle locale, en fonction des différents facteurs climatiques et du terrain.

Ou ne s’établira pas, c’est encore une douce illusion que d’attendre que le glissement des conditions naturelles ne soit que transitoire.

Et d’ailleurs, quelle est la part du climat et celle de la météo ? Quelques années d’observation ne sauraient fonder de certitude locale – globalement c’est autre chose, bien sûr !

Quand même : à quantité de précipitations à peu près équivalentes, il semble ici que le temps (c’est vague donc cela permet de limiter les bêtises…) soit de plus en plus contrasté : deux voire trois semaines sans une goutte, et puis autant de pluie incessante. Il faut arroser l’hiver pour éviter les dégâts sur les nouvelles plantations !

Heureusement en tout cas, la végétation a démarré cette année plus tard que l’an passé : le gel n’a grillé que les rosiers les plus hâtifs, les hortensias, les fleurs des fruitiers précoces. Les arbres n’avaient pas débourré. Exposée au nord, la forêt-jardin n’est jamais en avance ; elle souffre davantage l’hiver mais est moins soumise aux aléas printaniers. A terme, cela devrait limiter la perte totale de récoltes fruitières due au gel des fleurs.

Donc c’est maintenant que l’on peut profiter du vrai printemps, des fleurs qui prennent leurs aises, des pousses qui explosent !

Enfin !

Bourgeon de cormier en plein réveil
Frêne
Noyer bijou
La pulmonaire est une des plus belles sauvages. En général elle commence à fleurir dès la fin de l’hiver… mais pas cette année !
Cornouiller
Fleurs de nashi. Les premières écloses ont gelé, celles-ci ont bien un mois de retard.
Eglantier
Pommier sauvage : peu de fruits, immangeables, mais floraison superbe et quelques semis spontanés qui font de parfaits porte-greffes.
Merisier

La lumière et rien d’autre

Un piège photo qui n’a pris aucun animal, ni à poils, ni à plumes, mais par contre s’est déclenché à tort et à travers : plusieurs centaines de clichés en 48 heures, au rythme de 3 toutes les 10 minutes…

Rien que de l’herbe fanée et cuite par le gel. Mais de superbes variations de lumière ! Photos garanties sans la moindre retouche des couleurs. On flirte avec l’abstraction :

Nuances d’hiver

L’hiver n’est certainement pas la saison la plus attirante au jardin. Mais c’est l’occasion de revisiter la gamme des bruns, des gris, du beige et du noir avec un peu de vert dans les allées pour échantillonner tout ça !

Du givre pour décors délicats, des ciels bleus et froids parfois pour respirer le repos de la nature, de la neige (de moins en moins) pour recouvrir le tout, légère comme un manteau de lumière par beau temps, linceul écrasant lorsque la lumière a fui.

Le paysage passé au sucre (glace)
Que le printemps est loin !
Se souvenir de la couleur
Il suffit parfois d’un seul rayon de soleil !
Tondre les allées une fois en hiver aide à trouver du charme aux contrastes graphiques
Le fusain rampant ne se dévoile qu’en hiver
Chèvrefeuille d’hiver
Effets de givre…
… et de gelée blanche
Grande pervenche
Jeux graphiques
Ambiances lumineuses
Brouillard givrant
Au jardin japonais, la neige, après le soleil et la pluie, achève de patiner le bois de la maison de thé et d’en unifier les teintes. On pourra appliquer un traitement de protection… l’été prochain

Couleurs d’automne

Dernier feu d’artifice avant les rigueurs de l’hiver :

Fusain d’Europe
Viorne boule de neige
Liquidambar
Pêcher
Pêcher et abricotier
Chêne d’Amérique
Erable champêtre
Erable champêtre à contre-jour
Quand la couleur résiste au givre
Vient un moment où l’on admire plus confortablement depuis l’intérieur de la maison de thé !
Un dernier petit tour et puis s’en va…