Le possessif n’indique pas ici une domination, mais l’attachement que je leur porte. Certains sont plus âgés que moi, d’autres je les ai installés, mais sauf maladie ou accident la plupart me survivront.
Peu de choses sont dans ma relation à la nature plus plaisantes que de voir pousser et prospérer un arbre, de suivre saison après saison les feuilles qu’il émet, les fruits qu’il porte. Comestibles ou non. Voilà pourquoi beaucoup ne figurent toujours pas dans l’herbier : j’attends ces fruits. Leur écorce s’épaissit ou se fissure, leur forme reste tantôt étonnement la même, tantôt est bouleversée par le vent qui casse une branche, les attaques d’insectes ou de champignons, l’apparition de rejets plus vigoureux que le sujet initial.
Chacun est un milieu de vie qui supporte, héberge, nourrit une multitude de végétaux, animaux, mousses, lichens, champignons…
Chacun est aussi l’élément d’un ensemble plus vaste avec lequel il entretient des relations de voisinage (ombre, protection mutuelle conte le vent…) mais aussi des liens d’échange, ne serait-ce que par les réseaux de champignons mycorhiziens.
Je ne sais pas si le bien qu’ils me font est chimique, bactériologique ou psychologique, mais il est indéniable. Et bien que je n’ignore pas tout ce qu’il nous reste à découvrir sur nos propres interactions avec le milieu naturel dont ils sont le plus révéré symbole, je m’abstiendrai de tout anthropomorphisme. J’avoue pour autant que j’aime passer la main sur leur tronc, effleurer des doigts leur feuillage, soupeser leurs fruits. Et je leur parle…
Le chêne de l’entrée
C’est un chêne pédonculé qui accueille les visiteurs à l’entrée de la forêt-jardin. Il répond à celui de la pointe nord, chacun trônant à une extrémité de l’axe central que matérialise en partie haute l’allée des charmes.
En bordure de route et à l’entrée de l’ancienne prairie, il a subi des élagages un peu sauvages en partie basse, à l’épareuse. Il n’a pas pour autant été conduit en émonde (taille en cierge) ce qui était fréquent en pays de bocage comme le Ségala. Cela l’a privé des grosses branches basses horizontales caractéristique de l’espèce, mais au-delà s’épanouit un beau houppier. Quel âge a-t-il ? Peut-être un siècle ? A 1m30 son tronc fait 2m de circonférence.
Il donne tous les deux ou trois ans des glandées d’une importance parfois étonnante : le sol en est couvert. C’est alors un hiver d’abondance pour oiseaux, rongeurs, qui consomment, dispersent, stockent. J’ai retrouvé une cache de plusieurs kilos soigneusement arrangée par des mulots ! Comme ces glands sont relativement doux, j’en profite moi aussi (pour faire des biscuits : https://foretjardinlandassou.wordpress.com/2021/10/02/recettes/)…
Glands échappés aux amateurs volants, caches oubliées : ce chêne est probablement le père de la plupart de ceux qui germent un peu partout dans la forêt-jardin (les autres géniteurs potentiels sont trop jeunes). J’en garde certains, libres ou conduits en trogne, j’en élimine aussi quand je les repère à temps : dès la seconde année, leur racine pivot empêche de les arracher.
Les passants doivent me prendre pour un doux dingue quand ils me voient face au tronc, le nez au ras de l’écorce… C’est que le poste d’observation est bon : insectes, lichens, y abondent en toute saison, et les oiseaux plus haut, que je tente d’apercevoir à travers le feuillage ou le fouillis des branches.
Je ne sais pas comment il pourra faire face aux modifications climatiques. Il semblerait que les chênes pédonculés soient en régression dans le Sud-Ouest mais peut-être l’altitude lui sera-t-elle bénéfique. Et quels effets la modification des quantités et du régime des précipitations aura-t-elle sur l’oïdium dont les atteintes sont encore limitées ? Le Ségala de ce point de vue est à la fois une zone de transition entre les milieux de plaine du Sud-Ouest et les montagnes du Massif Central, et une région éclatée en une multitude de micro-climats : difficile de prévoir quelles évolutions affecteront la forêt-jardin !
Pour les bestioles, voir : https://foretjardinlandassou.wordpress.com/2021/09/07/biodiversite/
Pour l’herbier, voir : https://foretjardinlandassou.wordpress.com/2023/01/02/herbier/
Pour les lichens, voir : https://foretjardinlandassou.wordpress.com/2024/02/05/fascinants-lichens/
Pour le Ségala : https://foretjardinlandassou.wordpress.com/2023/10/29/bienvenue-en-segala/
Et sur les effets du changement climatique sur le chêne pédonculé : https://infodoc.agroparistech.fr/doc_num.php?explnum_id=3417#:~:text=Le%20d%C3%A9p%C3%A9rissement%20des%20ch%C3%AAnes%20p%C3%A9doncul%C3%A9s,de%20sant%C3%A9%20de%20cette%20essence
A suivre…