Bienvenue en Ségala !

La forêt-jardin se trouve au cœur du Ségala. Comme on m’a parfois demandé ce que c’était, il est temps de vous donner un aperçu de cette région de fort caractère.

Le Ségala, c’est la dernière marche du Massif Central en descendant vers le sud-ouest. Ou la première en montant. C’est un plateau schisteux acide : au dessous, les terres sédimentaires (calcaires) du rebord du bassin aquitain, entre les deux, la mondialement connue faille de Villefranche-de-Rouergue.

Un plateau, mais pas plat – contrairement à ce qu’ont cru pouvoir prétendre certains qui arrivant par la grand-route, avaient une vision trompeuse de la géographie locale. Cette route, la D911, c’est l’ancienne chaussée royale de Cahors à Albi, établie au XVIIIème : elle escalade le rejet de ladite faille de Villefranche puis s’aligne sur les hauteurs disposées est-ouest, comme c’était la mode à l’époque, avant de s’attaquer à la marche suivante, celle du Lévézou. Pas plat, parce que les cours d’eau principaux, l’Aveyron et le Viaur, en s’écoulant vers l’ouest, la Garonne et l’océan, ont profondément entaillé le plateau de vallées encaissées, imités perpendiculairement par leurs affluents. On a donc un réseau hydrographique en arrête de poisson, chaque cours d’eau séparé du voisin par d’étroits lambeaux du plateau.

Le plateau découpé par l’Aveyron, le Viaur et leurs affluents
Le plateau entaillé par un sous-affluent du Viaur

Cette présentation du relief et de la géologie est indispensable pour comprendre l’identité du Ségala: ce n’est pas un pays historique, comme le Rouergue auquel il appartient, mais une région naturelle ;

Le sol schisteux et acide est ingrat : n’y poussait guère que le seigle, cultivé surtout dans les fonds étroits mais améliorés par les alluvions des rivières, et le châtaignier, installé sur les pentes raides. Les sommets, maigres et secs, étaient de la lande à genêts : n’y paissaient guère que des moutons. Seigle et châtaigne valaient aux Ségalis le méprisant qualificatif de « ventres noirs » auprès des cultivateurs de froment des causses alentours…

Le Ségala est bien arrosé : les nuées atlantiques y rencontrant leur premier obstacle sérieux on pouvait compter sur un mètre annuel. L’alignement est-ouest de la dorsale entre Aveyron et Viaur permet une bonne pénétration de ces pluies, du moins jusqu’à Rieupeyroux, où une dorsale perpendiculaire les atténue vers l’est. Mais au-delà de ces généralités, l’extrême compartimentation du relief multiplie les microclimats !

La route ancienne serpente dans les vallées étroites

Les villages étaient le plus souvent établis dans les pentes, au centre des terroirs, pour limiter les risques d’inondation tout en se protégeant des vents froids d’hiver. On construisait en schiste, châtaignier, chêne et lauze (du schiste encore) des fermes étriquées, les bêtes au rez-de-chaussée, les hommes au dessus. Les anciennes routes cheminaient péniblement par les fonds de vallée et les habitants étaient souvent coupés du monde l’hiver, bloqués par des neiges importantes qui sont devenues très rares…

Maigre neige de janvier

Sur cette société misérable, l’Eglise avait une emprise absolue, qui ne s’effrite récemment que par la crise générale du clergé.

Enfin la chaux vint ! Et tout fut transformé.

La chaux, abondamment produite dans le Tarn voisin lors de la révolution industrielle n’a pu arriver dans le Ségala que lorsque la voie de chemin de fer après Carmaux, a desservi l’Aveyron, au prix d’ouvrages d’art spectaculaires (viaduc du Viaur). Les gares de  Naucelle et Carcenac-Peyralès en ont vu décharger des quantités fabuleuses qui ont métamorphosé la région en l’une des plus belles campagnes de France.

Céréales sur le plateau

Cela s’est traduit par une inversion du paysage. Déjà les travaux routiers du XVIIIème siècle, en établissant les communications par les hauts, avaient attiré auberges, relais de poste, et toutes les activités liées aux flux nouveaux. Ce sont les « Baraques », qui portent le nom de leur fondateur, ou du village le plus proche. L’une d’elle la Baraque de Fraysse, a tellement prospéré qu’elle est devenue Baraqueville et qu’on lui a taillé une commune aux dépends des vieilles communautés alentours. C’est aujourd’hui la capitale du Ségala, elle trône activement entre les vieux établissements monastiques de Naucelle et Rieupeyroux.

Autour de ces axes et centres nouveaux, les anciennes landes sont devenues de riches labours : pomme de terre, blé, maïs. Et de grasses prairies consacrées à l’élevage bovin. Production de qualité (veau labélisé « de l’Aveyron et du Ségala ») assez massive pour qu’en camion par la route les bêtes soient envoyées jusqu’en Italie ou en Espagne pour y être engraissées. Le Ségala n’est vraiment plus coupé du monde…

Prairies par dessus la haie

Tout cela bien sûr à un revers. Les fonds de vallée, trop étroits, sont beaucoup moins cultivés. Les châtaigneraies ont été abandonnées et les arbres jadis greffés sont morts ou retournés au type sauvage.

Le train qui apporte la chaux a emporté la moitié de la population en un siècle, on ne revoit guère les « Aveyronnais de Paris » que l’été et surtout à la Toussaint… Les villages dépeuplés se sont éclaircis, les vieilles fermes trop méprisées sont elles aussi souvent tombées en ruine, tant la route, la voiture et la « maison neuve » dotée du confort moderne avaient d’attrait. Du moins jusqu’à ce que l’installation de néo-ruraux amoureux des vieilles pierres ne change le regard et que les jeunes générations ne relèvent certaines des ruines laissées par quelques décennies de progrès.

J’avais écrit « progrès », avec des guillemets, et je les ai enlevés : ce serait juger, et je m’y refuse absolument, deux ou trois générations qui ont cru devoir rompre avec un passé qu’il serait stupide autant qu’indigne de glorifier. C’est ce que je rappelle toujours aux visiteurs de la forêt-jardin, parfois prompts à froncer du nez devant les pratiques agricoles productivistes. Les Ségalis ont crevé de faim pendant des siècles. Dans mon village, la moitié de la population était en 1774 à la soupe du curé (enquête de l’admirable évêque Champion de Cicé). Les transformations récentes leur ont apporté une certaine prospérité : ne l’oublions pas.

Mais évidemment, il y a des excès qu’on pourrait corriger : l’arrachage des haies au profit du barbelé, l’abus de phytosanitaires, etc. J’en parle assez ailleurs.

Quand le barbelé remplace la haie

C’est du Ségala du Lot que parle Pierre Benoît dans Le déjeuner de Sousceyrac (1931), pas de celui-ci. Mais je ne peux résister à citer le début du roman, qui convient aussi bien à l’Aveyron : « C’est un sauvage et dur pays que le Ségala, l’un des plus écartés, des plus ignorés de France. À la lisière du Cantal et du Lot, il n’est plus le Quercy sans être tout à fait l’Auvergne. Abrupt plateau de roches schisteuses, de granits, de grès, il s’élève par étages, sous les nuées, avec ses noires châtaigneraies, les maigres champs de seigle auxquels il doit son nom, ses landes qu’au crépuscule les troupeaux désertent, et dont les bruyères agitées sans fin par le triste vent de la nuit demeurent seules sous les étoiles ». S’ensuit une évocation assez sombre des habitants et de leur mode de vie, largement périmée par contre ! Aujourd’hui ouvert sur le monde (chaque village accueille au moins un foyer britannique, belge, néerlandais, etc.), le Ségala, sans renoncer à être un terroir productif, développe un tourisme varié :

https://www.tourisme-aveyron-segala.fr/

Bienvenue en Ségala !

3 réflexions sur “Bienvenue en Ségala !

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