Des noms ! Des noms ! Des noms !

Vieille habitude humaine, dans laquelle les anciens voyaient le fondement de la magie : donner des noms aux lieux, aux choses, aux êtres vivants, pour en acquérir la maîtrise. Rien de nous empêche d’y trouver encore une magie moins sombre. Petite exploration des charmes de la toponymie de la forêt-jardin et des appellations de sa biodiversité !

Noms de lieux

J’ai laissé à la forêt-jardin le nom que les anciens donnaient au terrain : le Landassou. C’est-à-dire la petite lande, terrain pauvre parfois boisé, parfois couvert de plantes buissonnantes, souvent abandonné à la pâture des moutons. Le mot lande dérive du gaulois *landa.

Au cadastre, le lieu-dit se nomme Saint Amans, du nom de l’évangélisateur et premier évêque de Rodez. Même si l’étymologie latine est transparente et sympathique, cela m’avait semblé un rien prétentieux. C’est cependant le nom qui a été retenu par la municipalité lorsqu’il a récemment fallu nommer la moindre voie carrossable : sorti par la porte, saint Amans est rentré par la fenêtre ! Donc : forêt-jardin du Landassou, route Saint Amans…

Le village de Cadars, que domine un château du XIVe siècle, appartient à la commune de Quins. Les deux semblent conserver le souvenir d’un propriétaire sous la forme gauloise (Cataros) ou latine (Cataricius, Quintius). (Source Naucelle, Christian-Pierre Bedel et al., dans la collection Al Canton, Mission départementale de la culture de l’Aveyron, 1992).

La forêt-jardin vue de loin (perspective écrasée) avec en arrière-plan le village de Cadars et son château

Noms de plantes, animaux, champignons… (Mais je m’en tiendrai aux premières)

Les organismes vivants ont deux noms : le nom vernaculaire et le nom scientifique. Ou plutôt deux ensembles de noms.

Parce que le nom vernaculaire est souvent très différent d’une région à une autre, sujet à évolutions, glissements, approximations, confusions. Parmi ces différentes appellations, il a été adopté une officielle dite « normalisée » qui est censée mettre un peu d’ordre dans ce maquis et éviter les malentendus. On a parfois jugé judicieux de forger un nom nouveau, décalqué du nom scientifique, ou plus proche de ce dernier : chélidoine majeure pour l’herbe-à-verrues (Chelidonium majus) ou lapsane commune pour lampsane commune (Lapsana communis). Il va de soi que cette opération de nettoyage n’a absolument pas touché le vulgum pecus, et qu’on risque bien de n’avoir que rajouté une couche au mille-feuille…

Herbe aux verrues : grande éclaire, herbe aux boucs, herbe de l’hirondelle, herbe de Saint-Clair, lait de sorcières ou lait de démon, herbe du diable, sologne, félongène, felougne. Donc : chélidoine majeure (Chelidonium majus) (Source Wikipedia)

Voilà pourquoi le nom scientifique est le seul à faire foi : il fait consensus partout dans le monde, son adoption est officielle. Systématisée par Linné, la taxonomie débouche sur une nomenclature binominale : genre puis espèce (le chêne pédonculé est Quercus robur). Carré !

Carl von Linné (1707-1778) par Alexandre Roslin, 1775 (Source Wikipedia)

Si ce n’est que bien des plantes ont été indépendamment décrites par plusieurs botanistes et qu’il a fallu attendre que l’on se mette d’accord sur la dénomination la plus adéquate. Non sans polémiques et querelles d’egos… Et chaque progrès de la science conduit à des modifications considérables. Qu’on pense au choc de la théorie de l’évolution de Darwin ! Pour finir, depuis quelques décennies, les progrès fulgurants de la génétique permettent de se débarrasser d’erreurs dues aux limites de l’observation et obligent à ajuster, parfois chambouler les classements et donc à changer les noms ! Peut-être aura-t-on sur cette base des dénominations plus stables…

Bouton-d’or, bassin-d’or, pied-de-poule, renoncule rampante, Ranunculus repens

Les noms communs peuvent être de formation récente et transparente (bouton-d’or) mais peuvent dériver d’anciennes racines. Germaniques (hêtre du bas francique *haistr), latines (fève, de faba) ou gauloises (if, de *ivos). Certains déplorent la « colonisation » ou l’ « impérialisme » linguistique romain, qui nous auraient dépossédés des noms authentiques des plantes indigènes. C’est sans doute exact, mais exagéré : les Romains conquérant un territoire ont eu tendance à adopter les noms indigènes des lieux, plantes et animaux qui leur étaient inconnus. Ainsi beaucoup de noms celtes nous sont parvenus latinisés, à peine déguisés dans la langue du vainqueur : le bouleau est en latin betulla/betullus, du gaulois *betua. Il n’est évidemment pas exclu que certains de ces noms gaulois aient eux-mêmes repris des dénominations préceltiques, vestiges indistincts des nombreux millénaires d’usage préhistorique (on le soupçonne pour le chêne, *cassanos en gaulois).

Le bouleau est un des plus anciens arbres que les hommes ont trouvés en Europe après la dernière glaciation ; leur doit-on son nom ?

Quant aux noms scientifiques, que certains trouveraient si vénérables et sérieux dans leur apparence latine, ne nous laissons pas abuser. C’est en fait du latin de cuisine (parfois du grec…), forgé de bric et souvent de broc par les spécialistes. Certains se contentent de décrire (l’hellébore fétide Helleborus foetidus) ou indiquent l’origine (le théier Camellia sinensis) ou l’usage (la grande consoude Symphytum officinale). D’autres par contre rendent hommage au découvreur ou à son protecteur, son copain… Ainsi l’arbre aux papillons est Buddleja davidii parce que Linné a voulu honorer le père Buddle et Franchet le père David – voilà une plante sacrément baptisée ! Franchet dont le nom a lui-même été donné à nombre de plantes, dont le cotonéaster de Franchet, Cotoneaster franchetii… Comme si ces plantes que les Européens découvraient n’avaient pas de nom indigène, qu’il aurait suffi de transcrire ! C’est possible, puisque cela a parfois été fait : la patate douce (Ipomea batatas, du taïno batatas).

S’il faut chercher de l’impérialisme, c’est bien là qu’on le trouve au premier chef ! D’ailleurs s’amorce  un mouvement qui tend à remplacer les noms européens par des dénominations plus authentiques

Cela dit, quand la découverte concerne une espèce qui n’a jamais été décrite, libre à l’inventeur d’écouter son imagination ou ses goûts ! Cela a peu de chance d’arriver à la forêt-jardin, mais c’est fréquent dans le vaste monde. Et vive le genre d’acarien Darthvaderum, l’arbre Uvariopsis dicaprio, le poisson Etheostoma obama !

Propreté, pureté : attention danger !

J’ai souvent flirté avec le sujet : herbes mortes, non-tonte, espèces végétales exogènes…

Propreté : rejet de la saleté. Pureté : rejet de la souillure. Y aurait quand même comme un cousinage, dirait l’autre ! Bien des gens ont sur ces questions des idées simples et claires, d’autant plus péremptoires que l’on en limite  l’application à un domaine restreint : la cuisine, l’hygiène, le jardin…

Je me contenterai bien sûr de parler de jardin, mais élargissez, élargissez ! et vous ne pourrez manquer d’être frappé par la complexité du sujet et parfois l’agressivité des débats…

Il y a une dimension esthétique, morale, politique…

L’angle d’attaque le plus simple, c’est l’histoire des jardins. Depuis la Perse antique où l’on en retrace l’origine (documentée), le jardin est un lieu fermé de murs (pairidaeza : enclos peuplé de bêtes sauvages, puis de plantes d’agrément, avec de l’eau : le Paradis). L’homme l’a établi, a choisi ce qu’il y mettait, pour son plaisir. De l’antiquité jusqu’à la fin du moyen-âge, rien de nouveau : le jardin est clos, il présente ce que le maître des lieux veut y voir. Moins de lions et davantage de paons, des fleurs et arbres au goût du jour mais contrôlés par la sélection et la taille. Le jardin n’est pas un morceau de nature, mais une création par l’art du jardinier à partir d’éléments de nature. Il me semble que les jardins chinois ou japonais  répondent aux mêmes principes.

Le jardin est donc œuvre d’art. Il n’est pas plus naturel que la musique n’est chant des oiseaux (tant pis pour Messiaen) ni la cuisine consommation directe de produits végétaux ou animaux (tant pis pour les crudivores).

Evidemment, en Occident, tout change en apparence avec la Renaissance, qui prétend redécouvrir ce que tout le monde savait déjà et tout bâtir sur des bases nouvelles. C’est largement vrai pour les sciences, mais très inégalement pour les arts. La musique me semble celui qui illustre le mieux ce qu’il y a de nouveau : les progrès de la notation musicale ont libéré les musiciens de la tâche de transmission de la tradition de maître à disciple, qui se perpétue dans la musique populaire, permettant l’éclosion, puis l’explosion d’une musique savante : elle permet à chacun d’exprimer sa différence, d’innover, de devenir davantage créateur. Ainsi se sont succédé à un rythme de plus en plus précipité des esthétiques très différentes, renaissante, baroque, classique, romantique…

On trouve la même périodisation dans l’art des jardins : parcs Renaissance (à l’italienne), à la française, à l’anglaise, art nouveau… On les oppose volontiers, mais finalement, quoi de neuf ? Il s’agit toujours de lieux délimités, par des murs, des haies, des ha-has (le comble de l’art : fermer tout en donnant l’impression d’ouvrir l’espace). Il s’agit toujours d’organiser l’espace, pour en faciliter l’exploration, y ménager des surprises, mettre en valeur tel arbre, telle construction (fontaine, petit bâtiment, grotte artificielle…), tel élément de paysage (bassin, rivière, butte…).

Je n’ai pas ôté les barbelés hérités de l’ancienne prairie artificielle qu’était la forêt-jardin : à défaut de haie complète, ils protègent mes chères mauvaises herbes des vaches qui passent sur le chemin ou paissent dans la parcelle voisine, de l’appétit aussi du gibier, et des chasseurs ! Inversion du rapport entretenu / moins entretenu, mais clôture toujours…

Comme souvent dans l’histoire, sous l’apparence de changement, la continuité l’emporte : les jardins Renaissance ou à la française élargissent progressivement leurs dimensions, mais perdure jusqu’à nos jours la position centrale du propriétaire-spectateur. C’est-à-dire l’idée que l’espace le plus proche de lui (devant le bâtiment qu’il habite -palais ou modeste maison- et le long des itinéraires qu’il emprunte) doit être l’objet des aménagements et des soins les plus minutieux. La maîtrise de l’homme prend des formes différentes, des dentelles de buis classiques aux essences exotiques si recherchées à la fin du XVIIIe s. et à l’époque romantique, mais toujours demeure le choix, et la volonté de contrôler l’espace. Voire le temps : par exemple avec la replantation régulière des parcs à la française (tous les siècles à Versailles) pour garder les arbres dans les limites assignées par le dessin, ou avec la disposition « au hasard » de fausses ruines antiques, médiévales, fausses tombes et pagodes, dans les si « naturels » jardins à l’anglaise…

Dans ce contexte de choix et de maîtrise, la propreté, c’est l’élimination de tout ce qui s’oppose à l’esthétique du moment, au plan du jardinier. L’herbe dans l’allée, la fleur fanée, la branche qui dépasse, l’arbre égaré hors de sa zone d’origine… Que ce soit dans un parc de château ou un petit jardin de zone pavillonnaire, à partir du moment où il sait ce qu’il veut et en a les moyens, le jardinier n’acceptera rien qui salisse son dessein.

Les jardins naturels, sauvages, les forêts-jardins échappent-elles à la règle ? Pas vraiment, soyons honnête : même réduite, l’intervention du jardinier demeure, ne serait-ce que pour la gestion des trajets de circulation, celle de l’eau, ces déchets, l’implantation de végétaux auxquels il tient. Certes, une plus grande part est laissée au hasard, les semis spontanés seront souvent accueillis, on déplacera un sentier pour tenir compte de la croissance des végétaux. Mais on ne renonce pas à un minimum d’attention aux espaces que l’on veut laisser ouverts, par rapport à ceux dont on accepte la fermeture, qui est la destinée inévitable d’un espace réellement offert à l’ensauvagement. Ici, à la forêt-jardin, si je ne faisais rien, je me retrouverais en quelques années avec un immense roncier d’où émergeraient chênes et frênes en ordre serré !

Ces jardins ne sont des « friches » que pour ceux dont l’esthétique porte la maîtrise à un degré supérieur, ou sur d’autres paramètres. Quoiqu’un peu plus modeste, le jardinier « naturel » reste un jardinier. Modeste… et encore ; après tout, n’y a-t-il pas quelque orgueil à prétendre que son art respecte mieux la nature que celui de ses devanciers ? Nous ne faisons somme toute qu’appliquer à l’art des jardins les valeurs de notre temps, la conscience accrue de la fragilité des écosystèmes, une certaine remise en cause des dégâts causés par l’homme. Notre saleté, c’est le plastique, le bitume, la chimie…

Je perçois les poubelles ou qui me servent de maigre réserve d’eau comme une tache. Si un jour je peux m’en passer, j’aurai certainement l’impression de nettoyer la forêt-jardin !

On comprend bien la dimension morale de toutes les époques de l’art des jardins, application de valeurs aristocratiques ou bourgeoises, de conceptions religieuses ou scientifiques des relations entre homme et nature. Sommes-nous à part ou faisons-nous partie de la nature ? Sommes nous le sommet de la création ou ne sommes-nous qu’un des innombrables et temporaires produits de l’évolution ? Nos capacités d’action sur notre environnement nous confèrent-elles des droits ou bien des devoirs ?… Chaque civilisation et  chaque époque, mais aussi chaque groupe social a apporté ses réponses propres. Et aujourd’hui, dans cet Occident qui a conquis le droit des individus à opter librement, c’est un kaléidoscope de points de vue qui s’affrontent sur tout, là où jadis il n’y avait guère de débat (je ne parle toujours que de jardins).

Chaque idéologie définit ce qui est bon, spirituellement, socialement, politiquement et rejette toute opposition ou tout doute comme impur. Et l’on sait assez de combien d’ « impurs » la pureté religieuse, sociale, politique, ont dans l’histoire causé la mort ! Je m’excuse de mettre ainsi en avant mon point de vue personnel, mais j’en retire une infinie méfiance à l’égard de tous les dogmes…

Y compris les dogmes jardiniers ! Mes voisins agriculteurs, fidèles de l’Eglise de la Sainte Production, nettoient encore trop volontiers à la tronçonneuse ou à la chimie tout ce qui leur semble aller à l’encontre du rendement (mais cela évolue). Ils n’ont pas tout à fait tort, il faut bien manger, mais quand même… Le bitume c’est propre, l’herbe folle sale ; vous imaginez le choc qu’a été l’interdiction des produits phytosanitaires dans les petites communes rurales, et le retour des « mauvaises herbes » un peu partout !

Le souci de conserver aux routes et chemin la plus grande largeur, pour permettre le passage de machines toujours plus imposantes, conduit souvent à pousser l’épareuse jusqu’au ras des troncs. Je vous garantis que celui-ci est en deçà des barbelés, mais des fois qu’il y pousse des brindilles…

A l’opposé, mes camarades permaculteurs de stricte observance, adorateurs de la Sacrée Limace, ont eux aussi leurs excès. Hors de la butte et de la lasagne, point de salut ! Et puis les litanies  à la gloire de « Mère Nature » si bonne et si généreuse…  Arrêtons là.

Pour ma part, j’expérimente, je pioche à gauche et prends à droite, et si je fais des erreurs, j’essaie de les repérer et si possible de les réparer ! Je présente avec plaisir la forêt-jardin à qui veut la visiter, mais je tâche autant que je le puis de ne jamais glisser à la leçon : voilà ce que je fais, ce que l’on peut faire, ça marche plus ou moins, l’avenir le dira ! L’avenir justement qui malgré la science reste bien incertain (au moins à l’échelle locale).

Le doute est sain, mais n’est pas tout-se-vaut. Il s’agit de ne pas confondre nos désirs avec la réalité, de garder à l’esprit que nos certitudes n’ont pas plus de valeur absolue que celles de nos prédécesseurs (pour les jardins toujours). Evitons de polluer, d’autant que ramasser les déchets est parfois aussi ravageur que les répandre (le nettoyage mécanique des laisses de mer rend des plages propres mais mortes), et souvent totalement impossible (microplastiques). Evitons de disséminer les espèces invasives (coccinelles asiatiques, arbre aux papillons), mais ne nous interdisons pas de les décrire, cela ne contribue pas à leur expansion. Evitons la chimie agressive, mais n’oublions pas qu’elle contribue largement à nous nourrir (amendements à la chaux). Espérons que la science trouvera des solutions (bactéries mangeuses de plastique, produits de substitution plus acceptables…) mais ne renvoyons pas sur les générations futures la charge de corriger nos impérities.

Nos jardins sont sales à qui les conçoit autrement, on est toujours l’impur de quelqu’un ; écoutons ceux qui conçoivent leur jardin différemment, expliquons nos idées, tâchons de convaincre, jamais de persuader! Oublions propreté et pureté.

Jusqu’à une distance respectable, le milieu agricole s’interroge sur ce que peut bien être cette « friche » : il est vrai que la forêt-jardin se distingue de loin au milieu des champs et prairies !

Glanage bibliographique

Voici les références de quelques livres que j’ai bien aimés, qui m’ont aidé ou inspiré. Pour beaucoup, il existe des éditions plus récentes, mais je m’en suis tenu à celles que j’ai en main ! Une bibliographie très sélective et subjective…

Dr Arnal-Schnebelen Bérengère et al. Phytothérapie, la santé par les plantes, Sélection du Reader’s Digest/Vidal Bagneux 2010 : pour sortir des on-dit sur les vertus des plantes, et éviter les accidents stupides !

Boffelli E. et Sirtori G. Taille et greffe, 100 erreurs à éviter, De Vecchi Paris 2012 : une approche originale, un bon contrepoint aux ouvrages savants.

Briane Gérard et Aussibal Didier Paysages de l’Aveyron, portraits et enjeux, Editions du Rouergue Rodez 2007 : du solide, du scientifique, ce qui n’empêche pas de rêver les paysages !

Cooper Paul Jardins sans limites, Octopus/Hachette livres Paris 2004 : des exemples inspirants pour réintégrer le jardin dans son environnement.

Flourest Anne et Romac Jean-Paul La cuisine gauloise continue, Bibracte et Bleu autour Saint-Pourçain-sur-Sioule 2021 : loin de l’exotisme, une foule de recettes pour profiter des ressources locales.

Lenoir Eric Le grand traité du jardin punk, Terre vivante Mens 2021 : évidemment !

Leterme Evelyne Le greffage et la plantation des arbres fruitiers, GRPA/Editions du Rouergue Rodez 2004 : pour acquérir des bases solides même sans être un pro…

Leterme Evelyne Les fruitiers retrouvés, Editions du Rouergue Rodez 1995 : l’infinie (ou presque) diversité des variétés locales.

Lorenz-Ladener Claudia Construire une serre, Ulmer Paris 2013 : des exemples clairement présentés pour inspirer le projet adapté à la situation de chacun.

Mitchell Alan Tous les arbres de nos forêts, Elsevier Séquoia Bruxelles 1977 : une bible !

Strawbridge Dick et James Vivre (comme) à la campagne, du rêve à la réalité, Larousse Paris 2010 : pour céder à la tentation !

Whitefield Patrick Créer un jardin-forêt, Editions Imagine Un Colibri Marsac 2018 : clair et efficace, le tour de la question.

Bienvenue en Ségala !

La forêt-jardin se trouve au cœur du Ségala. Comme on m’a parfois demandé ce que c’était, il est temps de vous donner un aperçu de cette région de fort caractère.

Le Ségala, c’est la dernière marche du Massif Central en descendant vers le sud-ouest. Ou la première en montant. C’est un plateau schisteux acide : au dessous, les terres sédimentaires (calcaires) du rebord du bassin aquitain, entre les deux, la mondialement connue faille de Villefranche-de-Rouergue.

Un plateau, mais pas plat – contrairement à ce qu’ont cru pouvoir prétendre certains qui arrivant par la grand-route, avaient une vision trompeuse de la géographie locale. Cette route, la D911, c’est l’ancienne chaussée royale de Cahors à Albi, établie au XVIIIème : elle escalade le rejet de ladite faille de Villefranche puis s’aligne sur les hauteurs disposées est-ouest, comme c’était la mode à l’époque, avant de s’attaquer à la marche suivante, celle du Lévézou. Pas plat, parce que les cours d’eau principaux, l’Aveyron et le Viaur, en s’écoulant vers l’ouest, la Garonne et l’océan, ont profondément entaillé le plateau de vallées encaissées, imités perpendiculairement par leurs affluents. On a donc un réseau hydrographique en arrête de poisson, chaque cours d’eau séparé du voisin par d’étroits lambeaux du plateau.

Le plateau découpé par l’Aveyron, le Viaur et leurs affluents
Le plateau entaillé par un sous-affluent du Viaur

Cette présentation du relief et de la géologie est indispensable pour comprendre l’identité du Ségala: ce n’est pas un pays historique, comme le Rouergue auquel il appartient, mais une région naturelle ;

Le sol schisteux et acide est ingrat : n’y poussait guère que le seigle, cultivé surtout dans les fonds étroits mais améliorés par les alluvions des rivières, et le châtaignier, installé sur les pentes raides. Les sommets, maigres et secs, étaient de la lande à genêts : n’y paissaient guère que des moutons. Seigle et châtaigne valaient aux Ségalis le méprisant qualificatif de « ventres noirs » auprès des cultivateurs de froment des causses alentours…

Le Ségala est bien arrosé : les nuées atlantiques y rencontrant leur premier obstacle sérieux on pouvait compter sur un mètre annuel. L’alignement est-ouest de la dorsale entre Aveyron et Viaur permet une bonne pénétration de ces pluies, du moins jusqu’à Rieupeyroux, où une dorsale perpendiculaire les atténue vers l’est. Mais au-delà de ces généralités, l’extrême compartimentation du relief multiplie les microclimats !

La route ancienne serpente dans les vallées étroites

Les villages étaient le plus souvent établis dans les pentes, au centre des terroirs, pour limiter les risques d’inondation tout en se protégeant des vents froids d’hiver. On construisait en schiste, châtaignier, chêne et lauze (du schiste encore) des fermes étriquées, les bêtes au rez-de-chaussée, les hommes au dessus. Les anciennes routes cheminaient péniblement par les fonds de vallée et les habitants étaient souvent coupés du monde l’hiver, bloqués par des neiges importantes qui sont devenues très rares…

Maigre neige de janvier

Sur cette société misérable, l’Eglise avait une emprise absolue, qui ne s’effrite récemment que par la crise générale du clergé.

Enfin la chaux vint ! Et tout fut transformé.

La chaux, abondamment produite dans le Tarn voisin lors de la révolution industrielle n’a pu arriver dans le Ségala que lorsque la voie de chemin de fer après Carmaux, a desservi l’Aveyron, au prix d’ouvrages d’art spectaculaires (viaduc du Viaur). Les gares de  Naucelle et Carcenac-Peyralès en ont vu décharger des quantités fabuleuses qui ont métamorphosé la région en l’une des plus belles campagnes de France.

Céréales sur le plateau

Cela s’est traduit par une inversion du paysage. Déjà les travaux routiers du XVIIIème siècle, en établissant les communications par les hauts, avaient attiré auberges, relais de poste, et toutes les activités liées aux flux nouveaux. Ce sont les « Baraques », qui portent le nom de leur fondateur, ou du village le plus proche. L’une d’elle la Baraque de Fraysse, a tellement prospéré qu’elle est devenue Baraqueville et qu’on lui a taillé une commune aux dépends des vieilles communautés alentours. C’est aujourd’hui la capitale du Ségala, elle trône activement entre les vieux établissements monastiques de Naucelle et Rieupeyroux.

Autour de ces axes et centres nouveaux, les anciennes landes sont devenues de riches labours : pomme de terre, blé, maïs. Et de grasses prairies consacrées à l’élevage bovin. Production de qualité (veau labélisé « de l’Aveyron et du Ségala ») assez massive pour qu’en camion par la route les bêtes soient envoyées jusqu’en Italie ou en Espagne pour y être engraissées. Le Ségala n’est vraiment plus coupé du monde…

Prairies par dessus la haie

Tout cela bien sûr à un revers. Les fonds de vallée, trop étroits, sont beaucoup moins cultivés. Les châtaigneraies ont été abandonnées et les arbres jadis greffés sont morts ou retournés au type sauvage.

Le train qui apporte la chaux a emporté la moitié de la population en un siècle, on ne revoit guère les « Aveyronnais de Paris » que l’été et surtout à la Toussaint… Les villages dépeuplés se sont éclaircis, les vieilles fermes trop méprisées sont elles aussi souvent tombées en ruine, tant la route, la voiture et la « maison neuve » dotée du confort moderne avaient d’attrait. Du moins jusqu’à ce que l’installation de néo-ruraux amoureux des vieilles pierres ne change le regard et que les jeunes générations ne relèvent certaines des ruines laissées par quelques décennies de progrès.

J’avais écrit « progrès », avec des guillemets, et je les ai enlevés : ce serait juger, et je m’y refuse absolument, deux ou trois générations qui ont cru devoir rompre avec un passé qu’il serait stupide autant qu’indigne de glorifier. C’est ce que je rappelle toujours aux visiteurs de la forêt-jardin, parfois prompts à froncer du nez devant les pratiques agricoles productivistes. Les Ségalis ont crevé de faim pendant des siècles. Dans mon village, la moitié de la population était en 1774 à la soupe du curé (enquête de l’admirable évêque Champion de Cicé). Les transformations récentes leur ont apporté une certaine prospérité : ne l’oublions pas.

Mais évidemment, il y a des excès qu’on pourrait corriger : l’arrachage des haies au profit du barbelé, l’abus de phytosanitaires, etc. J’en parle assez ailleurs.

Quand le barbelé remplace la haie

C’est du Ségala du Lot que parle Pierre Benoît dans Le déjeuner de Sousceyrac (1931), pas de celui-ci. Mais je ne peux résister à citer le début du roman, qui convient aussi bien à l’Aveyron : « C’est un sauvage et dur pays que le Ségala, l’un des plus écartés, des plus ignorés de France. À la lisière du Cantal et du Lot, il n’est plus le Quercy sans être tout à fait l’Auvergne. Abrupt plateau de roches schisteuses, de granits, de grès, il s’élève par étages, sous les nuées, avec ses noires châtaigneraies, les maigres champs de seigle auxquels il doit son nom, ses landes qu’au crépuscule les troupeaux désertent, et dont les bruyères agitées sans fin par le triste vent de la nuit demeurent seules sous les étoiles ». S’ensuit une évocation assez sombre des habitants et de leur mode de vie, largement périmée par contre ! Aujourd’hui ouvert sur le monde (chaque village accueille au moins un foyer britannique, belge, néerlandais, etc.), le Ségala, sans renoncer à être un terroir productif, développe un tourisme varié :

https://www.tourisme-aveyron-segala.fr/

Bienvenue en Ségala !

De l’influence de Christophe Colomb sur une forêt-jardin au fond de l’Aveyron

Je voulais initialement faire un article sur l’origine des plantes de la forêt-jardin. Parce que même au fond du Ségala, il est étonnant de voir comment un paysage végétal qui semble immuable accueille en fait des espèces venues des quatre coins du monde. Ici comme ailleurs en Europe, le fond indigène de la végétation ce sont, pour les arbres, les noisetiers, sureaux, nerpruns, bouleaux, hêtres, charmes, chênes, qui ont reconquis le continent après la dernière glaciation. Pour les fruitiers, sont indigènes également le poirier, le merisier, le prunellier. Tout le reste est, ou a été exotique – disons plutôt exogène, c’est plus froid mais prête moins aux fantasmes : le pommier, la vigne, le figuier, le prunier, le pêcher, l’amandier… Et, bien sûr, le nashi, l’amélanchier de Lamarck…

Poirier : indigène

Puis, de réflexion en scrupule, le sujet m’est apparu si complexe et si riche que j’ai pensé ne pas pouvoir m’en tenir au descriptif. Mais c’est risqué, et quelle que soit la prudence à laquelle j’ai essayé de me tenir, mes lecteurs, suivant leur sensibilité, risquent de ne pas y trouver leur compte. Ne m’en veuillez pas : je désire ouvrir la réflexion, chacun est assez grand pour décider des conséquences qu’il en veut tirer ! Cet article ne sera ni exhaustif, ni définitif.

Pommier : origine Asie centrale

Je ne prendrai par ailleurs pour exemples que des plantes présentes à la forêt-jardin. Non que je puisse prétendre les connaître à fond, mais ça m’évitera de me prendre les pieds dans la renouée du Japon, la griffe du diable et, évidemment, la caulerpe…

Prunier : origine Proche et Moyen-Orient

Entrons dans le vif. C’est une grande question aujourd’hui pour ceux qui s’intéressent au vivant : que planter, que rechercher ou bien qu’exclure dans un jardin (et donc dans la forêt-jardin puisque j’établis un milieu nouveau à partir de pas grand-chose) ? Plantes indigènes ou exotiques, menacées ou envahissantes, invasives ou enrichissantes, un peu ou beaucoup…

S’en mêlent la science (mais tout n’a pas été étudié), la loi parfois, la morale souvent. Derechef, je n’ai certainement pas l’intention de donner la moindre leçon, ni la prétention d’avoir un avis éclairé ; je me contenterai de poser des questions, d’autres et, en fin de compte, le temps y répondront !

Nashi : origine Japon

Abordons donc le problème par quelques questions, certainement un peu provocantes :

Question 1 : combien de temps faut-il pour qu’une plante importée et naturalisée, c’est-à-dire capable de subsister et de se reproduire sans l’intervention de l’homme, soit considérée indigène ? Corollaire : quelle distance définit l’exotisme ? Etant clair qu’il serait de mauvaise foi de prendre en considération les espèces qui se sont étendues spontanément de proche en proche, mais seulement celles qui ont été déplacées par l’homme : le groseillier est ici indigène, mais le cassissier et le groseillier à maquereau ont été introduits depuis le nord et l’est du pays, le pommier sauvage est indigène mais les pommiers cultivés viennent d’Asie centrale, le pêcher de Perse, le bambou de Chine.

Question 2 : sur quelle base différencier envahissantes et invasives ? Les unes locales, les autres exogènes, sont capables de coloniser rapidement un espace donné au détriment d’autres espèces, mais les secondes, ayant peu d’interactions avec les végétaux et animaux indigènes, sont moins susceptibles de régulation par le milieu. Mais ces interactions ne finissent-elles pas par s’établir ? Les mésanges se sont bien mises à la pyrale du buis.

Question 3 : l’homme étant le principal facteur de diffusion de ces espèces,  comment en même temps lui faire grief de perturber les équilibres de la biodiversité (ce qui est une évidence) et lui intimer de lutter contre envahissantes (cirse des prés) et invasives (buddléias) ? Son action de régulation a-t-elle la moindre chance d’être efficace ? La nature ne finirait-elle pas par rétablir d’elle-même son équilibre ? Ou bien le combat est-il perdu d’avance ?

Question 4 : ces envahissantes et invasives perturbent-elles des milieux auparavant équilibrés, ou profitent-elles du déséquilibre de milieux préalablement perturbés ? Corollaire 1 : y a-t-il des espèces végétales ou animales qui aient disparu du fait de l’invasion ? Corollaire 2 : tous les milieux sont-ils également concernés ? Il semblerait que les milieux aquatiques, les milieux insulaires et plus largement les milieux affaiblis par l’action de l’homme soient les plus touchés.

Amélanchier : origine Amérique du Nord

On comprend bien que ces questions s’inscrivent dans une dynamique évolutive, sur des siècles, voire des millénaires. On ne remontera pas jusqu’aux origines de l’homme, même si nos ancêtres nomades devaient bien transporter des graines dans leurs poils et entre leurs orteils ! Leurs déplacements plus lents que le vent ou le vol des oiseaux rendent insignifiante leur part dans la migration des espèces végétales… Le premier moment décisif dans la modification des milieux naturels par l’homme, c’est la révolution néolithique il y a une dizaine de millénaires : sédentarisation, agriculture, puis développement des premières cités, le bouleversement de l’environnement est en germe. Défrichements, sélection et amélioration des espèces les plus intéressantes, développement des échanges à des distances de plus en plus longues ; des premières communautés agricoles aux premiers empires, se mettent en place des mécanismes qui n’ont fait que s’amplifier. Céréales, plantes potagères, fruitiers colonisent bien au-delà de leur aire d’origine.

Robinier faux acacia : origine Amérique du Nord

Mais le choc, c’est la découverte de l’Amérique, qui met en contact deux milieux de vie, l’Ancien et le Nouveau monde, qui depuis plus de 100 millions d’années avaient suivi des voies évolutives différentes. L’espèce humaine était bien passée de l’un à l’autre, par le détroit de Béring ou la voie océanique, mais l’étroitesse (Béringie) ou la discontinuité (Pacifique) des voies empruntées avaient limité les transferts. Avec la mainmise des Européens sur l’Amérique, les contacts deviennent massifs, permanents, intenses. Ainsi le Nouveau Monde est-il envahi d’espèces nouvelles, apportées consciemment (blé, pommier, poirier, pissenlit…) ou inconsciemment (moins pour les végétaux que les animaux ou les pathogènes). En sens inverse, l’Ancien Monde a reçu courge, haricot, pomme de terre, tomate, magnolia, … C’est ce qu’on appelle l’échange colombien, soit le plus grand choc pour le vivant, qui depuis cinq siècles homogénéise progressivement la vie sur Terre, à conditions géologiques et climatiques équivalentes. La colonisation et la mondialisation, phénomènes très anciens, ont de façon corollaire connu une accélération exponentielle. 

Fatsia japonica : origine (à votre avis ?)

C’est dans ce cadre que l’on doit replacer les plantes invasives, au point que certains restreignent l’usage de la notion aux plantes déplacées depuis le XVIème siècle : sumac de Virginie, bambous d’Asie orientale, robinier du nord-est de l’Amérique, et en sens inverse l’épine-vinette, le rosier multiflore… En gardant en tête que dans les plantes ainsi importées (dites néophytes), seules quelques unes sont invasives, c’est-à-dire se développent de manière incontrôlée aux dépens des espèces locales. Restriction supplémentaire : ces espèces ne sont invasives que lorsque le lieu et le moment leurs sont favorables. Il faudrait donc parler de populations envahissantes exogènes : ainsi le mahonia à feuilles de houx, implanté partout en Europe, est classé invasif notamment en Belgique et Allemagne.

Ragouminier : origine Asie centrale

Le moteur de ces déplacements d’espèces végétales est bien sûr l’intérêt productif qu’elles peuvent représenter (si le caféier pouvait prospérer à la forêt-jardin…). Mais la curiosité scientifique, la passion pour la botanique en sont au moins pour autant responsables : une grande partie des plantes invasives exogènes sont échappées des jardins botaniques et aujourd’hui davantage encore diffusées par les jardineries et pépinières qui répondent à l’appétit de nouveauté des jardiniers amateurs.

Mahonia à feuilles de houx : origine Amérique du Nord

Tout cela, c’est l’action directe de l’homme sur la répartition géographique naturelle des plantes. C’est déjà important, par le risque qui en résulte pour la biodiversité « indigène ». C’est sérieux, mais, et je ne crois pas m’avancer trop, infiniment moins grave que le réchauffement climatique. C’est le facteur essentiel, lui aussi d’origine anthropique, qui va bouleverser (et bouleverse déjà) les milieux naturels avec une violence sans commune mesure avec l’introduction d’espèces végétales exotiques.

Il ne s’agit évidemment pas de trouver le moindre lien de causalité entre les deux phénomènes, autre que leur commune origine humaine : le réchauffement n’est pas une cause de la diffusion des plantes exogènes, sa rapidité est infiniment supérieure à la capacité de déplacement des plantes par la migration des semences, génération après génération.

Rosier multiflore : origine Extrême-Orient

Mais il oblige à reconsidérer totalement la réflexion sur la répartition des espèces végétales. Bien des plantes présentes depuis plus de 10 000 ans (fin de la dernière période glaciaire) auront du mal à se maintenir : dans le sud-ouest, le hêtre et le chêne pédonculé indigènes sont déjà menacés. Quelles espèces seront condamnées par le changement climatique en un lieu donné, quoiqu’elles puissent se maintenir ou se diffuser ailleurs ? Cette menace vaut également pour les espèces exogènes. En sens inverse, on peut se demander si certaines essences exotiques vont, ou pourraient jouer un rôle dans la reconfiguration des biotopes, palliant la disparition d’espèces anciennes, ou profitant de cette disparition autant que du réchauffement qui l’a causée.

Sachant que la brutalité du changement empêche les lents glissements et redistributions qui ont accompagné toutes les variations passées du climat il semble inévitable que l’homme soit tenté d’accompagner ces substitutions, soit pour sauver de vieux compagnons (les hêtres de la Sainte Baume implantés dans les Vosges) soit pour en trouver de nouveaux : l’olivier devient envisageable en Aveyron. Les orangers bientôt ?

Donc agir, certainement, mais sur quoi ? Lutter contre les espèces envahissantes c’est bien sûr ne pas en rajouter dans leur diffusion, mais c’est fait. C’est limiter leur implantation, mais l’éradication a jusqu’à présent été un échec. Et tout cela n’est rien si l’on ne s’attaque pas aux facteurs principaux de dérèglement naturel, qui justement semblent le terrain qui permet aux espèces invasives de prospérer : le réchauffement climatique, la pollution, l’artificialisation des sols…

Et pour les amateurs de débats :

https://www.tela-botanica.org/2019/11/les-plantes-envahissantes-la-nouvelle-chasse-aux-sorcieres-de-la-science/

L’eau, le climat, l’adaptation

Le Landassou n’a jamais été une terre riche, ni par la composition de son sous-sol, ni par le sol qu’aurait pu lui constituer l’accumulation de sédiments. En pente, presque en haut d’une croupe, il n’y a guère que dans le bas du terrain que des siècles de labour ont fait glisser un peu de la maigre terre locale. Cela y apporte davantage de profondeur, pas de fertilité.

Mais si on tient à un sol riche, on s’installe dans la Beauce, pas le Ségala ! Ici, jusqu’il y a peu (un siècle, qu’est-ce !) c’était surtout les replats et les fonds de vallées qui étaient cultivés ; les pentes dévolues à la vigne et surtout à la châtaigneraie, les hauts à l’élevage extensif de moutons (des landes à genêt : le Landassou). Jusqu’à ce que le chemin de fer apporte la chaux et change la donne. Le Ségala est devenu un superbe terroir agricole ou un relativement prospère élevage bovin est soutenu par un assolement céréales/maïs/prairies.

Cherchez l’erreur ! Le sol, ça va ; chaux, lisier, fumier, amendements chimiques pallient toutes carences (et même plus…). Les débouchés, impeccables ; le camion assure la collecte du lait et l’exportation du bétail. La qualité est au rendez-vous ; fromages, viandes labélisées.

Mais l’eau ?

La région est bien arrosée (800 à 1000 mm par an). Ajoutez-y un peu de pompage dans les rivières ou en profondeur (mais ça ne va pas loin), quelques bassins collinaires, assez limités. Une demande accrue, le changement climatique (quantité et régime des précipitations) et c’est tout un équilibre qui est compromis. Déjà, la culture du maïs… L’été dernier, il a été ensilé en août : 40 cm, sec, pas de grain – profit zéro. Ensuite, le remembrement et l’arrachage des haies au profit du barbelé : en milieu collinaire cela  favorise un fort ruissellement à chaque épisode pluvieux intense, et les champs glissent sur les routes, dans les fossés, les cours d’eau, sans même que l’eau puisse pénétrer en profondeur et alimenter les nappes.

A la forêt-jardin, quelle est la situation ? Le sol, maigre et compacté (chardons) se transforme l’hiver en boue liquide, l’été en béton que la pioche n’entame pas.

Aucune ressource en eau l’été (ni source, ni ruisseau), et l’hiver un ruissellement permanent, notamment dans les fossés latéraux qui résultent de décennies de labour. Lors des pluies fortes et prolongées, l’eau ruisselle également entre le sol et le sous-sol : la serre enterrée en a été remplie le premier automne.

Dans ces conditions, les végétaux que j’implante ont la vie dure ; s’ils ne grillent pas l’été, l’asphyxie racinaire les éprouve l’hiver. En cas de canicule, même ceux qui avaient réussi à s’installer sont menacés.

Comment agir ? Il est hors de question d’arroser : je n’ai ni les moyens matériels, ni la légitimité morale de déverser des tonnes d’eau de juin à octobre. Ce qui peut être acceptable –avec modération- pour un potager ne l’est plus pour un jardin, ni même une forêt-jardin, quelque productive qu’elle soit.

J’ai bien essayé de retenir un peu d’eau dans de petits bassins creusés et bâchés, quelques arrosages ponctuels devant aider les jeunes plantations à passer le premier été. Les campagnols sont vite venus à bout des bâches et de mes illusions.

J’ai donc opté pour une dizaine de poubelles disposées aux endroits stratégiques : elles se remplissent entre hiver et printemps puis sont refermées. Elles m’assurent au mieux 500 litres d’eau. S’y ajoutent un récupérateur alimenté par le toit de l’abri à outils (600 litres) et le bassin tampon de la serre enterrée (environ 2500 litres). Au total moins de 4 m3. Ce ne peut être qu’un dépannage d’urgence, pas une solution.

La solution, c’est la forêt-jardin elle-même. C’est aussi sa meilleure justification.

La couverture végétale épaisse et permanente protège le sol des chaleurs excessives et limite donc leur assèchement en profondeur. Au moins un temps. L’hiver, en retardant de même le gel du sol, cette végétation facilite aussi la pénétration des précipitations, d’autant qu’elle ralentit le ruissellement. Le sol stocke donc davantage d’eau qui s’évapore ensuite moins vite.

La multiplication des arbres et arbustes, par l’établissement de systèmes racinaires puissants, améliore encore cette pénétration en profondeur des précipitations et la mobilisation de ces ressources en cas de sécheresse. Ils captent aussi, tout comme le lierre, une partie de l’humidité de l’air, jamais nulle, même lors des épisodes caniculaires.

La densité des végétaux et le développement des systèmes mycorhiziens qui les relient permettent une diffusion plus égale des ressources, notamment en eau, entre les différentes zones de la forêt-jardin.

L’ensemble de ces facteurs devrait permettre qu’une fois installée la forêt-jardin contribue l’été à un microclimat moins étouffant. L’ombre y permettra des températures inférieures, d’autant que sous des arbres on mesure des valeurs encore moins élevées que sous un couvert non végétal.

Pour autant, cela ne suffira pas à assurer la survie de l’écosystème actuel ; le hêtre est menacé, le chêne pédonculé aussi. Le changement est trop rapide pour qu’ils s’y adaptent. Ce qui semble avéré à l’échelle continentale se vérifiera-t-il à l’échelle locale ? Dans quel délai ? Avec quelle gravité ? Le relief du Ségala, sa situation intermédiaire entre zones climatiques atlantique, montagnarde et méditerranéenne, y définissent une grande variété de microclimats ; ne serait-ce que pour les précipitations, ce qui est mesuré à la station météo la plus proche (Rodez-Marcillac, 20 km à vol d’oiseau) ne se vérifie pas souvent ! Je ne peux donc guère anticiper, d’autant que pour les mêmes raisons les hivers restent susceptibles de coups de froid non négligeables ; l’oranger n’est pas pour demain, et toutes mes tentatives pour acclimater le feijoa ont pour l’instant été vaines…

Alors je plante un peu de tout, de l’indigène classique mais qui pourrait disparaître, de l’exotique qui pourrait fonctionner. J’essaie, je tâtonne, j’observe. Ce n’est qu’avec le recul que l’on verra ce qui prospère, ou pas. La forêt-jardin n’est pas une solution dans le détail de sa composition, mais par sa conception d’ensemble, comme on l’a vu, et par l’expérimentation permanente dont elle procède. Les études scientifiques sont parfaitement valides pour prévoir les évolutions dans les grandes lignes : le rapport Meadows a remarquablement annoncé il y a cinquante ans ce que nous vivons aujourd’hui. Mais à l’échelle locale, faute de mesures de terrain précises, multiples et sur le temps long, c’est une autre paire de manches ! Ce qui légitime l’expérimentation, le bricolage et le doigt mouillé !

https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Limites_%C3%A0_la_croissance

http://www.donellameadows.org/wp-content/userfiles/Limits-to-Growth-digital-scan-version.pdf