De l’influence de Christophe Colomb sur une forêt-jardin au fond de l’Aveyron

Je voulais initialement faire un article sur l’origine des plantes de la forêt-jardin. Parce que même au fond du Ségala, il est étonnant de voir comment un paysage végétal qui semble immuable accueille en fait des espèces venues des quatre coins du monde. Ici comme ailleurs en Europe, le fond indigène de la végétation ce sont, pour les arbres, les noisetiers, sureaux, nerpruns, bouleaux, hêtres, charmes, chênes, qui ont reconquis le continent après la dernière glaciation. Pour les fruitiers, sont indigènes également le poirier, le merisier, le prunellier. Tout le reste est, ou a été exotique – disons plutôt exogène, c’est plus froid mais prête moins aux fantasmes : le pommier, la vigne, le figuier, le prunier, le pêcher, l’amandier… Et, bien sûr, le nashi, l’amélanchier de Lamarck…

Poirier : indigène

Puis, de réflexion en scrupule, le sujet m’est apparu si complexe et si riche que j’ai pensé ne pas pouvoir m’en tenir au descriptif. Mais c’est risqué, et quelle que soit la prudence à laquelle j’ai essayé de me tenir, mes lecteurs, suivant leur sensibilité, risquent de ne pas y trouver leur compte. Ne m’en veuillez pas : je désire ouvrir la réflexion, chacun est assez grand pour décider des conséquences qu’il en veut tirer ! Cet article ne sera ni exhaustif, ni définitif.

Pommier : origine Asie centrale

Je ne prendrai par ailleurs pour exemples que des plantes présentes à la forêt-jardin. Non que je puisse prétendre les connaître à fond, mais ça m’évitera de me prendre les pieds dans la renouée du Japon, la griffe du diable et, évidemment, la caulerpe…

Prunier : origine Proche et Moyen-Orient

Entrons dans le vif. C’est une grande question aujourd’hui pour ceux qui s’intéressent au vivant : que planter, que rechercher ou bien qu’exclure dans un jardin (et donc dans la forêt-jardin puisque j’établis un milieu nouveau à partir de pas grand-chose) ? Plantes indigènes ou exotiques, menacées ou envahissantes, invasives ou enrichissantes, un peu ou beaucoup…

S’en mêlent la science (mais tout n’a pas été étudié), la loi parfois, la morale souvent. Derechef, je n’ai certainement pas l’intention de donner la moindre leçon, ni la prétention d’avoir un avis éclairé ; je me contenterai de poser des questions, d’autres et, en fin de compte, le temps y répondront !

Nashi : origine Japon

Abordons donc le problème par quelques questions, certainement un peu provocantes :

Question 1 : combien de temps faut-il pour qu’une plante importée et naturalisée, c’est-à-dire capable de subsister et de se reproduire sans l’intervention de l’homme, soit considérée indigène ? Corollaire : quelle distance définit l’exotisme ? Etant clair qu’il serait de mauvaise foi de prendre en considération les espèces qui se sont étendues spontanément de proche en proche, mais seulement celles qui ont été déplacées par l’homme : le groseillier est ici indigène, mais le cassissier et le groseillier à maquereau ont été introduits depuis le nord et l’est du pays, le pommier sauvage est indigène mais les pommiers cultivés viennent d’Asie centrale, le pêcher de Perse, le bambou de Chine.

Question 2 : sur quelle base différencier envahissantes et invasives ? Les unes locales, les autres exogènes, sont capables de coloniser rapidement un espace donné au détriment d’autres espèces, mais les secondes, ayant peu d’interactions avec les végétaux et animaux indigènes, sont moins susceptibles de régulation par le milieu. Mais ces interactions ne finissent-elles pas par s’établir ? Les mésanges se sont bien mises à la pyrale du buis.

Question 3 : l’homme étant le principal facteur de diffusion de ces espèces,  comment en même temps lui faire grief de perturber les équilibres de la biodiversité (ce qui est une évidence) et lui intimer de lutter contre envahissantes (cirse des prés) et invasives (buddléias) ? Son action de régulation a-t-elle la moindre chance d’être efficace ? La nature ne finirait-elle pas par rétablir d’elle-même son équilibre ? Ou bien le combat est-il perdu d’avance ?

Question 4 : ces envahissantes et invasives perturbent-elles des milieux auparavant équilibrés, ou profitent-elles du déséquilibre de milieux préalablement perturbés ? Corollaire 1 : y a-t-il des espèces végétales ou animales qui aient disparu du fait de l’invasion ? Corollaire 2 : tous les milieux sont-ils également concernés ? Il semblerait que les milieux aquatiques, les milieux insulaires et plus largement les milieux affaiblis par l’action de l’homme soient les plus touchés.

Amélanchier : origine Amérique du Nord

On comprend bien que ces questions s’inscrivent dans une dynamique évolutive, sur des siècles, voire des millénaires. On ne remontera pas jusqu’aux origines de l’homme, même si nos ancêtres nomades devaient bien transporter des graines dans leurs poils et entre leurs orteils ! Leurs déplacements plus lents que le vent ou le vol des oiseaux rendent insignifiante leur part dans la migration des espèces végétales… Le premier moment décisif dans la modification des milieux naturels par l’homme, c’est la révolution néolithique il y a une dizaine de millénaires : sédentarisation, agriculture, puis développement des premières cités, le bouleversement de l’environnement est en germe. Défrichements, sélection et amélioration des espèces les plus intéressantes, développement des échanges à des distances de plus en plus longues ; des premières communautés agricoles aux premiers empires, se mettent en place des mécanismes qui n’ont fait que s’amplifier. Céréales, plantes potagères, fruitiers colonisent bien au-delà de leur aire d’origine.

Robinier faux acacia : origine Amérique du Nord

Mais le choc, c’est la découverte de l’Amérique, qui met en contact deux milieux de vie, l’Ancien et le Nouveau monde, qui depuis plus de 100 millions d’années avaient suivi des voies évolutives différentes. L’espèce humaine était bien passée de l’un à l’autre, par le détroit de Béring ou la voie océanique, mais l’étroitesse (Béringie) ou la discontinuité (Pacifique) des voies empruntées avaient limité les transferts. Avec la mainmise des Européens sur l’Amérique, les contacts deviennent massifs, permanents, intenses. Ainsi le Nouveau Monde est-il envahi d’espèces nouvelles, apportées consciemment (blé, pommier, poirier, pissenlit…) ou inconsciemment (moins pour les végétaux que les animaux ou les pathogènes). En sens inverse, l’Ancien Monde a reçu courge, haricot, pomme de terre, tomate, magnolia, … C’est ce qu’on appelle l’échange colombien, soit le plus grand choc pour le vivant, qui depuis cinq siècles homogénéise progressivement la vie sur Terre, à conditions géologiques et climatiques équivalentes. La colonisation et la mondialisation, phénomènes très anciens, ont de façon corollaire connu une accélération exponentielle. 

Fatsia japonica : origine (à votre avis ?)

C’est dans ce cadre que l’on doit replacer les plantes invasives, au point que certains restreignent l’usage de la notion aux plantes déplacées depuis le XVIème siècle : sumac de Virginie, bambous d’Asie orientale, robinier du nord-est de l’Amérique, et en sens inverse l’épine-vinette, le rosier multiflore… En gardant en tête que dans les plantes ainsi importées (dites néophytes), seules quelques unes sont invasives, c’est-à-dire se développent de manière incontrôlée aux dépens des espèces locales. Restriction supplémentaire : ces espèces ne sont invasives que lorsque le lieu et le moment leurs sont favorables. Il faudrait donc parler de populations envahissantes exogènes : ainsi le mahonia à feuilles de houx, implanté partout en Europe, est classé invasif notamment en Belgique et Allemagne.

Ragouminier : origine Asie centrale

Le moteur de ces déplacements d’espèces végétales est bien sûr l’intérêt productif qu’elles peuvent représenter (si le caféier pouvait prospérer à la forêt-jardin…). Mais la curiosité scientifique, la passion pour la botanique en sont au moins pour autant responsables : une grande partie des plantes invasives exogènes sont échappées des jardins botaniques et aujourd’hui davantage encore diffusées par les jardineries et pépinières qui répondent à l’appétit de nouveauté des jardiniers amateurs.

Mahonia à feuilles de houx : origine Amérique du Nord

Tout cela, c’est l’action directe de l’homme sur la répartition géographique naturelle des plantes. C’est déjà important, par le risque qui en résulte pour la biodiversité « indigène ». C’est sérieux, mais, et je ne crois pas m’avancer trop, infiniment moins grave que le réchauffement climatique. C’est le facteur essentiel, lui aussi d’origine anthropique, qui va bouleverser (et bouleverse déjà) les milieux naturels avec une violence sans commune mesure avec l’introduction d’espèces végétales exotiques.

Il ne s’agit évidemment pas de trouver le moindre lien de causalité entre les deux phénomènes, autre que leur commune origine humaine : le réchauffement n’est pas une cause de la diffusion des plantes exogènes, sa rapidité est infiniment supérieure à la capacité de déplacement des plantes par la migration des semences, génération après génération.

Rosier multiflore : origine Extrême-Orient

Mais il oblige à reconsidérer totalement la réflexion sur la répartition des espèces végétales. Bien des plantes présentes depuis plus de 10 000 ans (fin de la dernière période glaciaire) auront du mal à se maintenir : dans le sud-ouest, le hêtre et le chêne pédonculé indigènes sont déjà menacés. Quelles espèces seront condamnées par le changement climatique en un lieu donné, quoiqu’elles puissent se maintenir ou se diffuser ailleurs ? Cette menace vaut également pour les espèces exogènes. En sens inverse, on peut se demander si certaines essences exotiques vont, ou pourraient jouer un rôle dans la reconfiguration des biotopes, palliant la disparition d’espèces anciennes, ou profitant de cette disparition autant que du réchauffement qui l’a causée.

Sachant que la brutalité du changement empêche les lents glissements et redistributions qui ont accompagné toutes les variations passées du climat il semble inévitable que l’homme soit tenté d’accompagner ces substitutions, soit pour sauver de vieux compagnons (les hêtres de la Sainte Baume implantés dans les Vosges) soit pour en trouver de nouveaux : l’olivier devient envisageable en Aveyron. Les orangers bientôt ?

Donc agir, certainement, mais sur quoi ? Lutter contre les espèces envahissantes c’est bien sûr ne pas en rajouter dans leur diffusion, mais c’est fait. C’est limiter leur implantation, mais l’éradication a jusqu’à présent été un échec. Et tout cela n’est rien si l’on ne s’attaque pas aux facteurs principaux de dérèglement naturel, qui justement semblent le terrain qui permet aux espèces invasives de prospérer : le réchauffement climatique, la pollution, l’artificialisation des sols…

Et pour les amateurs de débats :

https://www.tela-botanica.org/2019/11/les-plantes-envahissantes-la-nouvelle-chasse-aux-sorcieres-de-la-science/

3 réflexions sur “De l’influence de Christophe Colomb sur une forêt-jardin au fond de l’Aveyron

  1. Vous vous posez de belles questions que se sont posées beaucoup de botanistes avant vous.
    Question 1: indigène/exotique/ endémique
    Les botanistes divisent les plantes en archéophyte (Plante endémique sur un continent dont l’introduction est antérieure à l’année 1500) et en néophyte.
    On entend par néophyte, une plante non-indigène dont l’arrivée sur le territoire considéré est postérieure à 1500 ans après J.-C (c.-à-d. du début du commerce mondial)[1]. Les néophytes sont à distinguer des archéophytes, plantes non-indigènes dont l’arrivée sur le territoire est antérieure à 1500 ans après J.-C.

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