Taille et esthétique

Un précédent article a abordé la question de la taille sous l’angle de son utilité pour la production, essentiellement fruitière (même si j’évoquais le cas de l’osier, donc la production de longs brins).

https://foretjardinlandassou.wordpress.com/2022/03/03/la-taille/

Ici, je reprends le sujet sous l’angle de son intérêt esthétique : question a priori déplacée dans une forêt-jardin, où les végétaux sont censés échapper aux diktats des lubies humaines. Pourquoi ne pas les laisser libres de se développer sans la moindre intervention ?

Remarquons d’abord que ne jamais intervenir nulle part, c’est la certitude de se retrouver en très peu d’années avec une forêt presque exclusivement composée, dans cette région, de chênes et de frênes, au milieu d’un inextricable réseau de ronces. Cela pourrait se concevoir, mais pas dans une forêt-jardin diversifiée et productive. Je consomme bien quelques glands, et les mûres, mais ça ne saurait suffire… Il ne s’agit pas toutefois pas d’éliminer ces pionniers, mais de les contenir.

Roncier

Ensuite, si l’on veut que certains végétaux soutiennent une plus grande biodiversité animale, il peut être intéressant de les guider vers une certaine forme de croissance : la haie est un milieu particulièrement utile à beaucoup d’oiseaux et petits mammifères, à condition qu’elle soit fournie et épaisse dès la base, ce qui suppose au moins une taille par an, au moment opportun entre automne et hiver. De toute façon, il existe un monde extérieur (voisins, axes routiers) qui suppose que les bordures végétales respectent un tant soit peu les limites !

https://foretjardinlandassou.wordpress.com/2021/12/14/haies/

Et puis dans forêt-jardin, il y a jardin, et toute spontanée qu’en soit la beauté, je ne m’interdis pas d’y apporter la touche qui convient à mon goût… Soyons provocateur et disons le clairement : la forêt-jardin est un Versailles à l’envers ! A condition de ne pas faire le contresens habituel sur les jardins à la française que l’on croit totalement artificiels ; il s’agit au contraire d’y ménager une transition subtile entre le totalement maîtrisé (le bâti, c’est-à-dire le palais) et le sauvage (le grand parc réservé à la chasse). Esplanades nues, bassins et massifs fleuris, haies basses puis hautes, futaies libres en sont les degrés. Si lors d’une visite au château vous avez quitté les sentiers battus, vous aurez été surpris des sous-bois touffus qui vivent leur vie juste derrière Trianon. Et encore, le grand parc a disparu, mangé par l’urbanisation.

Ici, à l’inverse, l’essentiel est ce que je laisse libre ; il est au centre, et je n’interviens qu’à la marge.

Déjà en entretenant les allées qui protègent le reste du terrain des piétinements intempestifs.

L’allée centrale de la forêt-jardin

https://foretjardinlandassou.wordpress.com/2023/02/25/pourquoi-des-allees/

Ensuite en préservant quelques ouvertures et perspectives qui intègrent la forêt-jardin dans le milieu environnant, grâce à des « paysages empruntés ».

Paysage du Ségala emprunté par la forêt-jardin

https://foretjardinlandassou.wordpress.com/2022/11/16/paysages-empruntes/

Dans cette optique, il faudrait arracher tous les semis spontanés de chênes, de frênes, d’aubépine… Certes, j’en enlève une partie, mais j’en garde aussi, que je taille de manière à ce qu’ils puissent subsister sans fermer l’espace.

Pour ce faire, il y a deux techniques, parfaitement opposées : la taille en forme, et la taille en transparence.

La première consiste à ôter la plus grande partie des pousses de l’année pour réduire la plante à une petite dimension. On pratique le plus souvent cette taille pour les arbustes ou buissons, qui se prêtent à l’art topiaire, mais aussi pour les grands arbres : en rideau, en parasol… On peut inclure dans cette catégorie la formation en têtard (ou trogne) qui consiste à couper tous les deux ou trois ans la totalité des banches issues d’une tête. C’est un usage ancien, qui fournissait bois et fourrage. Le frêne, le saule (donc l’osier) s’y prêtent bien, mais aussi le chêne. Les têtes d’où partent les branches nouvelles au bout d’un tronc court grossissent à chaque taille. S’y accumulent des végétaux morts qui abritent toutes sortes de formes de vie.

Jeune frêne étêté en fin d’hiver
Le même en début de printemps
En pleine croissance
Alignement d’osiers têtards

La seconde laisse l’arbre atteindre la hauteur qu’il peut, mais en élaguant les branches inférieures jusqu’à la hauteur de deux ou trois mètres, celles du dessus étant laissées libres, de sorte à ne laisser qu’un ou quelques troncs et branches maîtresses qui laissent passer le regard. C’est en quelque sorte reproduire ce qui se passe en forêt, où les arbres dans leur croissance en hauteur vers la lumière se débarrassent naturellement des branches inférieures. Le sous-bois en est aéré, ce qui laisse mieux passer la lumière et aide au développement de strates inférieures de végétation, buissonnantes ou herbacées. Dans un jardin, ou à la forêt-jardin, cela permet de conserver le bénéfice des arbres (port, ombrage) tout en laissant le regard circuler au travers de leur structure.

Jeunes chênes débarrassés de leurs branches basses

La taille en transparence est aussi intéressante si l’on veut associer à un arbre de haute taille une liane fruitière (kiwaï, akébia…) qui grimpera dans sa structure.

Saule marsault taillé en transparence

Ces deux tailles peuvent se combiner : maintenir une haie dans le volume requis, trapue et basse n’empêche aucunement d’en laisser sortir des arbres, eux-mêmes taillés en transparence, comme ici les chênes dans une haie composée d’aubépines, prunelliers, églantiers, néfliers, ronces. Certains oiseaux nicheront dans la partie basse, épaisse et protectrice, d’autres percheront et chanteront à la cime dégagée des arbres.

Chênes s’échappant de la haie en bordure de route
Paysage entrevu entre haie et chênes

Ainsi la taille esthétique ne satisfait pas seulement le caprice du jardinier, mais contribue à la variété des milieux qu’offre la forêt-jardin, dans un espace bien plus restreint qu’une forêt naturelle.

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