Mes arbres : 1- Le chêne de l’entrée

Le possessif n’indique pas ici une domination, mais l’attachement que je leur porte. Certains sont plus âgés que moi, d’autres je les ai installés, mais sauf maladie ou accident la plupart me survivront.

Peu de choses sont dans ma relation à la nature plus plaisantes que de voir pousser et prospérer un arbre, de suivre saison après saison les feuilles qu’il émet, les fruits qu’il porte. Comestibles ou non. Voilà pourquoi beaucoup ne figurent toujours pas dans l’herbier : j’attends ces fruits. Leur écorce s’épaissit ou se fissure, leur forme reste tantôt étonnement la même, tantôt est bouleversée par le vent qui casse une branche, les attaques d’insectes ou de champignons, l’apparition de rejets plus vigoureux que le sujet initial.

Chacun est un milieu de vie qui supporte, héberge, nourrit une multitude de végétaux, animaux, mousses, lichens, champignons…

Chacun est aussi l’élément d’un ensemble plus vaste avec lequel il entretient des relations de voisinage (ombre, protection mutuelle conte le vent…) mais aussi des liens d’échange, ne serait-ce que par les réseaux de champignons mycorhiziens.

Je ne sais pas si le bien qu’ils me font est chimique, bactériologique ou psychologique, mais il est indéniable. Et bien que je n’ignore pas tout ce qu’il nous reste à découvrir sur nos propres interactions avec le milieu naturel dont ils sont le plus révéré symbole, je m’abstiendrai de tout anthropomorphisme. J’avoue pour autant que j’aime passer la main sur leur tronc, effleurer des doigts leur feuillage, soupeser leurs fruits. Et je leur parle…

Le chêne de l’entrée

C’est un chêne pédonculé qui accueille les visiteurs à l’entrée de la forêt-jardin. Il répond à celui de la pointe nord, chacun trônant à une extrémité de l’axe central que matérialise en partie haute l’allée des charmes.

En bordure de route et à l’entrée de l’ancienne prairie, il a subi des élagages un peu sauvages en partie basse, à l’épareuse. Il n’a pas pour autant été conduit en émonde (taille en cierge) ce qui était fréquent en pays de bocage comme le Ségala. Cela l’a privé des grosses branches basses horizontales caractéristique de l’espèce, mais au-delà s’épanouit un beau houppier.  Quel âge a-t-il ? Peut-être un siècle ? A 1m30 son tronc fait 2m de circonférence.

Il donne tous les deux ou trois ans des glandées d’une importance parfois étonnante : le sol en est couvert. C’est alors un hiver d’abondance pour oiseaux, rongeurs, qui consomment, dispersent, stockent. J’ai retrouvé une cache de plusieurs kilos soigneusement arrangée par des mulots ! Comme ces glands sont relativement doux, j’en profite moi aussi (pour faire des biscuits : https://foretjardinlandassou.wordpress.com/2021/10/02/recettes/)…

Glands échappés aux amateurs volants, caches oubliées : ce chêne est probablement le père de la plupart de ceux qui germent un peu partout dans la forêt-jardin (les autres géniteurs potentiels sont trop jeunes). J’en garde certains, libres ou conduits en trogne, j’en élimine aussi quand je les repère à temps : dès la seconde année, leur racine pivot empêche de les arracher.

Les passants doivent me prendre pour un doux dingue quand ils me voient face au tronc, le nez au ras de l’écorce… C’est que le poste d’observation est bon : insectes, lichens, y abondent en toute saison, et les oiseaux plus haut, que je tente d’apercevoir à travers le feuillage ou le fouillis des branches.

Je ne sais pas comment il pourra faire face aux modifications climatiques. Il semblerait que les chênes pédonculés soient en régression dans le Sud-Ouest mais peut-être l’altitude lui sera-t-elle bénéfique. Et quels effets la modification des quantités et du régime des précipitations aura-t-elle sur l’oïdium dont les atteintes sont encore limitées ?  Le Ségala de ce point de vue est à la fois une zone de transition entre les milieux de plaine du Sud-Ouest et les montagnes du Massif Central, et une région éclatée en une multitude de micro-climats : difficile de prévoir quelles évolutions affecteront la forêt-jardin !

Pour les bestioles, voir : https://foretjardinlandassou.wordpress.com/2021/09/07/biodiversite/

Pour l’herbier, voir : https://foretjardinlandassou.wordpress.com/2023/01/02/herbier/

Pour les lichens, voir : https://foretjardinlandassou.wordpress.com/2024/02/05/fascinants-lichens/

Pour le Ségala : https://foretjardinlandassou.wordpress.com/2023/10/29/bienvenue-en-segala/

Et sur les effets du changement climatique sur le chêne pédonculé : https://infodoc.agroparistech.fr/doc_num.php?explnum_id=3417#:~:text=Le%20d%C3%A9p%C3%A9rissement%20des%20ch%C3%AAnes%20p%C3%A9doncul%C3%A9s,de%20sant%C3%A9%20de%20cette%20essence

A suivre…

De l’influence de Christophe Colomb sur une forêt-jardin au fond de l’Aveyron

Je voulais initialement faire un article sur l’origine des plantes de la forêt-jardin. Parce que même au fond du Ségala, il est étonnant de voir comment un paysage végétal qui semble immuable accueille en fait des espèces venues des quatre coins du monde. Ici comme ailleurs en Europe, le fond indigène de la végétation ce sont, pour les arbres, les noisetiers, sureaux, nerpruns, bouleaux, hêtres, charmes, chênes, qui ont reconquis le continent après la dernière glaciation. Pour les fruitiers, sont indigènes également le poirier, le merisier, le prunellier. Tout le reste est, ou a été exotique – disons plutôt exogène, c’est plus froid mais prête moins aux fantasmes : le pommier, la vigne, le figuier, le prunier, le pêcher, l’amandier… Et, bien sûr, le nashi, l’amélanchier de Lamarck…

Poirier : indigène

Puis, de réflexion en scrupule, le sujet m’est apparu si complexe et si riche que j’ai pensé ne pas pouvoir m’en tenir au descriptif. Mais c’est risqué, et quelle que soit la prudence à laquelle j’ai essayé de me tenir, mes lecteurs, suivant leur sensibilité, risquent de ne pas y trouver leur compte. Ne m’en veuillez pas : je désire ouvrir la réflexion, chacun est assez grand pour décider des conséquences qu’il en veut tirer ! Cet article ne sera ni exhaustif, ni définitif.

Pommier : origine Asie centrale

Je ne prendrai par ailleurs pour exemples que des plantes présentes à la forêt-jardin. Non que je puisse prétendre les connaître à fond, mais ça m’évitera de me prendre les pieds dans la renouée du Japon, la griffe du diable et, évidemment, la caulerpe…

Prunier : origine Proche et Moyen-Orient

Entrons dans le vif. C’est une grande question aujourd’hui pour ceux qui s’intéressent au vivant : que planter, que rechercher ou bien qu’exclure dans un jardin (et donc dans la forêt-jardin puisque j’établis un milieu nouveau à partir de pas grand-chose) ? Plantes indigènes ou exotiques, menacées ou envahissantes, invasives ou enrichissantes, un peu ou beaucoup…

S’en mêlent la science (mais tout n’a pas été étudié), la loi parfois, la morale souvent. Derechef, je n’ai certainement pas l’intention de donner la moindre leçon, ni la prétention d’avoir un avis éclairé ; je me contenterai de poser des questions, d’autres et, en fin de compte, le temps y répondront !

Nashi : origine Japon

Abordons donc le problème par quelques questions, certainement un peu provocantes :

Question 1 : combien de temps faut-il pour qu’une plante importée et naturalisée, c’est-à-dire capable de subsister et de se reproduire sans l’intervention de l’homme, soit considérée indigène ? Corollaire : quelle distance définit l’exotisme ? Etant clair qu’il serait de mauvaise foi de prendre en considération les espèces qui se sont étendues spontanément de proche en proche, mais seulement celles qui ont été déplacées par l’homme : le groseillier est ici indigène, mais le cassissier et le groseillier à maquereau ont été introduits depuis le nord et l’est du pays, le pommier sauvage est indigène mais les pommiers cultivés viennent d’Asie centrale, le pêcher de Perse, le bambou de Chine.

Question 2 : sur quelle base différencier envahissantes et invasives ? Les unes locales, les autres exogènes, sont capables de coloniser rapidement un espace donné au détriment d’autres espèces, mais les secondes, ayant peu d’interactions avec les végétaux et animaux indigènes, sont moins susceptibles de régulation par le milieu. Mais ces interactions ne finissent-elles pas par s’établir ? Les mésanges se sont bien mises à la pyrale du buis.

Question 3 : l’homme étant le principal facteur de diffusion de ces espèces,  comment en même temps lui faire grief de perturber les équilibres de la biodiversité (ce qui est une évidence) et lui intimer de lutter contre envahissantes (cirse des prés) et invasives (buddléias) ? Son action de régulation a-t-elle la moindre chance d’être efficace ? La nature ne finirait-elle pas par rétablir d’elle-même son équilibre ? Ou bien le combat est-il perdu d’avance ?

Question 4 : ces envahissantes et invasives perturbent-elles des milieux auparavant équilibrés, ou profitent-elles du déséquilibre de milieux préalablement perturbés ? Corollaire 1 : y a-t-il des espèces végétales ou animales qui aient disparu du fait de l’invasion ? Corollaire 2 : tous les milieux sont-ils également concernés ? Il semblerait que les milieux aquatiques, les milieux insulaires et plus largement les milieux affaiblis par l’action de l’homme soient les plus touchés.

Amélanchier : origine Amérique du Nord

On comprend bien que ces questions s’inscrivent dans une dynamique évolutive, sur des siècles, voire des millénaires. On ne remontera pas jusqu’aux origines de l’homme, même si nos ancêtres nomades devaient bien transporter des graines dans leurs poils et entre leurs orteils ! Leurs déplacements plus lents que le vent ou le vol des oiseaux rendent insignifiante leur part dans la migration des espèces végétales… Le premier moment décisif dans la modification des milieux naturels par l’homme, c’est la révolution néolithique il y a une dizaine de millénaires : sédentarisation, agriculture, puis développement des premières cités, le bouleversement de l’environnement est en germe. Défrichements, sélection et amélioration des espèces les plus intéressantes, développement des échanges à des distances de plus en plus longues ; des premières communautés agricoles aux premiers empires, se mettent en place des mécanismes qui n’ont fait que s’amplifier. Céréales, plantes potagères, fruitiers colonisent bien au-delà de leur aire d’origine.

Robinier faux acacia : origine Amérique du Nord

Mais le choc, c’est la découverte de l’Amérique, qui met en contact deux milieux de vie, l’Ancien et le Nouveau monde, qui depuis plus de 100 millions d’années avaient suivi des voies évolutives différentes. L’espèce humaine était bien passée de l’un à l’autre, par le détroit de Béring ou la voie océanique, mais l’étroitesse (Béringie) ou la discontinuité (Pacifique) des voies empruntées avaient limité les transferts. Avec la mainmise des Européens sur l’Amérique, les contacts deviennent massifs, permanents, intenses. Ainsi le Nouveau Monde est-il envahi d’espèces nouvelles, apportées consciemment (blé, pommier, poirier, pissenlit…) ou inconsciemment (moins pour les végétaux que les animaux ou les pathogènes). En sens inverse, l’Ancien Monde a reçu courge, haricot, pomme de terre, tomate, magnolia, … C’est ce qu’on appelle l’échange colombien, soit le plus grand choc pour le vivant, qui depuis cinq siècles homogénéise progressivement la vie sur Terre, à conditions géologiques et climatiques équivalentes. La colonisation et la mondialisation, phénomènes très anciens, ont de façon corollaire connu une accélération exponentielle. 

Fatsia japonica : origine (à votre avis ?)

C’est dans ce cadre que l’on doit replacer les plantes invasives, au point que certains restreignent l’usage de la notion aux plantes déplacées depuis le XVIème siècle : sumac de Virginie, bambous d’Asie orientale, robinier du nord-est de l’Amérique, et en sens inverse l’épine-vinette, le rosier multiflore… En gardant en tête que dans les plantes ainsi importées (dites néophytes), seules quelques unes sont invasives, c’est-à-dire se développent de manière incontrôlée aux dépens des espèces locales. Restriction supplémentaire : ces espèces ne sont invasives que lorsque le lieu et le moment leurs sont favorables. Il faudrait donc parler de populations envahissantes exogènes : ainsi le mahonia à feuilles de houx, implanté partout en Europe, est classé invasif notamment en Belgique et Allemagne.

Ragouminier : origine Asie centrale

Le moteur de ces déplacements d’espèces végétales est bien sûr l’intérêt productif qu’elles peuvent représenter (si le caféier pouvait prospérer à la forêt-jardin…). Mais la curiosité scientifique, la passion pour la botanique en sont au moins pour autant responsables : une grande partie des plantes invasives exogènes sont échappées des jardins botaniques et aujourd’hui davantage encore diffusées par les jardineries et pépinières qui répondent à l’appétit de nouveauté des jardiniers amateurs.

Mahonia à feuilles de houx : origine Amérique du Nord

Tout cela, c’est l’action directe de l’homme sur la répartition géographique naturelle des plantes. C’est déjà important, par le risque qui en résulte pour la biodiversité « indigène ». C’est sérieux, mais, et je ne crois pas m’avancer trop, infiniment moins grave que le réchauffement climatique. C’est le facteur essentiel, lui aussi d’origine anthropique, qui va bouleverser (et bouleverse déjà) les milieux naturels avec une violence sans commune mesure avec l’introduction d’espèces végétales exotiques.

Il ne s’agit évidemment pas de trouver le moindre lien de causalité entre les deux phénomènes, autre que leur commune origine humaine : le réchauffement n’est pas une cause de la diffusion des plantes exogènes, sa rapidité est infiniment supérieure à la capacité de déplacement des plantes par la migration des semences, génération après génération.

Rosier multiflore : origine Extrême-Orient

Mais il oblige à reconsidérer totalement la réflexion sur la répartition des espèces végétales. Bien des plantes présentes depuis plus de 10 000 ans (fin de la dernière période glaciaire) auront du mal à se maintenir : dans le sud-ouest, le hêtre et le chêne pédonculé indigènes sont déjà menacés. Quelles espèces seront condamnées par le changement climatique en un lieu donné, quoiqu’elles puissent se maintenir ou se diffuser ailleurs ? Cette menace vaut également pour les espèces exogènes. En sens inverse, on peut se demander si certaines essences exotiques vont, ou pourraient jouer un rôle dans la reconfiguration des biotopes, palliant la disparition d’espèces anciennes, ou profitant de cette disparition autant que du réchauffement qui l’a causée.

Sachant que la brutalité du changement empêche les lents glissements et redistributions qui ont accompagné toutes les variations passées du climat il semble inévitable que l’homme soit tenté d’accompagner ces substitutions, soit pour sauver de vieux compagnons (les hêtres de la Sainte Baume implantés dans les Vosges) soit pour en trouver de nouveaux : l’olivier devient envisageable en Aveyron. Les orangers bientôt ?

Donc agir, certainement, mais sur quoi ? Lutter contre les espèces envahissantes c’est bien sûr ne pas en rajouter dans leur diffusion, mais c’est fait. C’est limiter leur implantation, mais l’éradication a jusqu’à présent été un échec. Et tout cela n’est rien si l’on ne s’attaque pas aux facteurs principaux de dérèglement naturel, qui justement semblent le terrain qui permet aux espèces invasives de prospérer : le réchauffement climatique, la pollution, l’artificialisation des sols…

Et pour les amateurs de débats :

https://www.tela-botanica.org/2019/11/les-plantes-envahissantes-la-nouvelle-chasse-aux-sorcieres-de-la-science/

L’eau, le climat, l’adaptation

Le Landassou n’a jamais été une terre riche, ni par la composition de son sous-sol, ni par le sol qu’aurait pu lui constituer l’accumulation de sédiments. En pente, presque en haut d’une croupe, il n’y a guère que dans le bas du terrain que des siècles de labour ont fait glisser un peu de la maigre terre locale. Cela y apporte davantage de profondeur, pas de fertilité.

Mais si on tient à un sol riche, on s’installe dans la Beauce, pas le Ségala ! Ici, jusqu’il y a peu (un siècle, qu’est-ce !) c’était surtout les replats et les fonds de vallées qui étaient cultivés ; les pentes dévolues à la vigne et surtout à la châtaigneraie, les hauts à l’élevage extensif de moutons (des landes à genêt : le Landassou). Jusqu’à ce que le chemin de fer apporte la chaux et change la donne. Le Ségala est devenu un superbe terroir agricole ou un relativement prospère élevage bovin est soutenu par un assolement céréales/maïs/prairies.

Cherchez l’erreur ! Le sol, ça va ; chaux, lisier, fumier, amendements chimiques pallient toutes carences (et même plus…). Les débouchés, impeccables ; le camion assure la collecte du lait et l’exportation du bétail. La qualité est au rendez-vous ; fromages, viandes labélisées.

Mais l’eau ?

La région est bien arrosée (800 à 1000 mm par an). Ajoutez-y un peu de pompage dans les rivières ou en profondeur (mais ça ne va pas loin), quelques bassins collinaires, assez limités. Une demande accrue, le changement climatique (quantité et régime des précipitations) et c’est tout un équilibre qui est compromis. Déjà, la culture du maïs… L’été dernier, il a été ensilé en août : 40 cm, sec, pas de grain – profit zéro. Ensuite, le remembrement et l’arrachage des haies au profit du barbelé : en milieu collinaire cela  favorise un fort ruissellement à chaque épisode pluvieux intense, et les champs glissent sur les routes, dans les fossés, les cours d’eau, sans même que l’eau puisse pénétrer en profondeur et alimenter les nappes.

A la forêt-jardin, quelle est la situation ? Le sol, maigre et compacté (chardons) se transforme l’hiver en boue liquide, l’été en béton que la pioche n’entame pas.

Aucune ressource en eau l’été (ni source, ni ruisseau), et l’hiver un ruissellement permanent, notamment dans les fossés latéraux qui résultent de décennies de labour. Lors des pluies fortes et prolongées, l’eau ruisselle également entre le sol et le sous-sol : la serre enterrée en a été remplie le premier automne.

Dans ces conditions, les végétaux que j’implante ont la vie dure ; s’ils ne grillent pas l’été, l’asphyxie racinaire les éprouve l’hiver. En cas de canicule, même ceux qui avaient réussi à s’installer sont menacés.

Comment agir ? Il est hors de question d’arroser : je n’ai ni les moyens matériels, ni la légitimité morale de déverser des tonnes d’eau de juin à octobre. Ce qui peut être acceptable –avec modération- pour un potager ne l’est plus pour un jardin, ni même une forêt-jardin, quelque productive qu’elle soit.

J’ai bien essayé de retenir un peu d’eau dans de petits bassins creusés et bâchés, quelques arrosages ponctuels devant aider les jeunes plantations à passer le premier été. Les campagnols sont vite venus à bout des bâches et de mes illusions.

J’ai donc opté pour une dizaine de poubelles disposées aux endroits stratégiques : elles se remplissent entre hiver et printemps puis sont refermées. Elles m’assurent au mieux 500 litres d’eau. S’y ajoutent un récupérateur alimenté par le toit de l’abri à outils (600 litres) et le bassin tampon de la serre enterrée (environ 2500 litres). Au total moins de 4 m3. Ce ne peut être qu’un dépannage d’urgence, pas une solution.

La solution, c’est la forêt-jardin elle-même. C’est aussi sa meilleure justification.

La couverture végétale épaisse et permanente protège le sol des chaleurs excessives et limite donc leur assèchement en profondeur. Au moins un temps. L’hiver, en retardant de même le gel du sol, cette végétation facilite aussi la pénétration des précipitations, d’autant qu’elle ralentit le ruissellement. Le sol stocke donc davantage d’eau qui s’évapore ensuite moins vite.

La multiplication des arbres et arbustes, par l’établissement de systèmes racinaires puissants, améliore encore cette pénétration en profondeur des précipitations et la mobilisation de ces ressources en cas de sécheresse. Ils captent aussi, tout comme le lierre, une partie de l’humidité de l’air, jamais nulle, même lors des épisodes caniculaires.

La densité des végétaux et le développement des systèmes mycorhiziens qui les relient permettent une diffusion plus égale des ressources, notamment en eau, entre les différentes zones de la forêt-jardin.

L’ensemble de ces facteurs devrait permettre qu’une fois installée la forêt-jardin contribue l’été à un microclimat moins étouffant. L’ombre y permettra des températures inférieures, d’autant que sous des arbres on mesure des valeurs encore moins élevées que sous un couvert non végétal.

Pour autant, cela ne suffira pas à assurer la survie de l’écosystème actuel ; le hêtre est menacé, le chêne pédonculé aussi. Le changement est trop rapide pour qu’ils s’y adaptent. Ce qui semble avéré à l’échelle continentale se vérifiera-t-il à l’échelle locale ? Dans quel délai ? Avec quelle gravité ? Le relief du Ségala, sa situation intermédiaire entre zones climatiques atlantique, montagnarde et méditerranéenne, y définissent une grande variété de microclimats ; ne serait-ce que pour les précipitations, ce qui est mesuré à la station météo la plus proche (Rodez-Marcillac, 20 km à vol d’oiseau) ne se vérifie pas souvent ! Je ne peux donc guère anticiper, d’autant que pour les mêmes raisons les hivers restent susceptibles de coups de froid non négligeables ; l’oranger n’est pas pour demain, et toutes mes tentatives pour acclimater le feijoa ont pour l’instant été vaines…

Alors je plante un peu de tout, de l’indigène classique mais qui pourrait disparaître, de l’exotique qui pourrait fonctionner. J’essaie, je tâtonne, j’observe. Ce n’est qu’avec le recul que l’on verra ce qui prospère, ou pas. La forêt-jardin n’est pas une solution dans le détail de sa composition, mais par sa conception d’ensemble, comme on l’a vu, et par l’expérimentation permanente dont elle procède. Les études scientifiques sont parfaitement valides pour prévoir les évolutions dans les grandes lignes : le rapport Meadows a remarquablement annoncé il y a cinquante ans ce que nous vivons aujourd’hui. Mais à l’échelle locale, faute de mesures de terrain précises, multiples et sur le temps long, c’est une autre paire de manches ! Ce qui légitime l’expérimentation, le bricolage et le doigt mouillé !

https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Limites_%C3%A0_la_croissance

http://www.donellameadows.org/wp-content/userfiles/Limits-to-Growth-digital-scan-version.pdf

Sécheresse !

Comme partout, l’été 2022 restera marqué à la forêt-jardin par cette sécheresse dont on ne voit pas la fin. Avec quand même un microclimat qui a aggravé la situation : moins de 30 mm en trois mois, c’est vraiment pire qu’aux alentours ! Les rares orages qui ont apporté un répit limité quoique violent dans beaucoup de régions nous ont évités : ils suivent les rivières, l’Aveyron au nord et le Viaur au sud, on les voit, on les entend, mais on n’en bénéficie pas. Du coup la terre est sèche en profondeur, et les feuillages, qui n’ont souffert d’aucune grêle, brunissent et tombent intacts…

Voilà un mois maintenant que les maigres réserves d’eau sont épuisées. Il en reste un peu au fond des mares, mais elle est réservée à la faune. On n’aura pu que retarder le triste spectacle des jeunes plants qui s’étiolent. De toute façon, il serait impossible d’arroser plus de 1000 jeunes arbres et buissons. Priorité aux derniers installés. Et puis ce n’est pas la philosophie du lieu, il faut que la végétation s’accorde avec les données locales, fussent-elles bousculées par une météo chaotique évidemment liée au réchauffement global.

Il va falloir tirer les conséquences de cet épisode, qui va probablement devenir une série… Mais cela prendra du temps. D’abord parce qu’on ne saura que dans un an l’ampleur des dégâts. Quelles plantes auront été assez solides pour repartir, malgré leur état actuel de décrépitude. La nature est résiliente, il y aura des surprises, même si pas de miracle !

Ensuite, il sera intéressant d’étudier les effets d’une si longue et violente épreuve sur la couverture végétale herbacée. Probablement que certaines plantes cèderont du terrain, les équilibres vont changer. Quand je pense que même l’increvable égopode a totalement disparu en surface !

Pour les arbres et les buissons, il faudra envisager d’installer des espèces mieux adaptées : les hêtres sont locaux, mais ils ont été les premiers à griller. Seulement l’ère du palmier ou de l’oranger de plein vent n’est pas encore arrivée : quelques brûlants que deviennent les étés, les hivers restent froids ! Cette année a d’ailleurs été marquée par deux vagues de mortalité, le gel tardif ayant déjà surpris pas mal de végétaux au réveil…

Développer les réserves d’eau, ça peut toujours se faire, mais à quels frais ? Pour quel résultat ?

Détail très intéressant à ce sujet : les arbres et arbustes arbustes d’une même espèce et du même âge n’ont pas surmonté l’épreuve avec le même succès. Certains jeunes chênes, certains osiers sont bien grillés, d’autres totalement indemnes, avec tous les intermédiaires. On doit pouvoir en tirer une connaissance plus fine de la rétention d’eau par le sol.

Pour finir, n’oublions pas que si la souffrance des végétaux s’étale sous nos yeux, les animaux sauvages meurent aussi, par manque d’eau, de nourriture, ou tout simplement par excès de chaleur. Voici le fantôme d’un lièvre qui nous le rappelle :

De leur côté, la situation ne perturbe pas les mantes religieuses. Elles ont encore la couleur brune qui en fait les reines du camouflage dans les herbes roussies :

Et l’attente, l’attente interminable prendra bien fin… Les plantes sentent-elles venir la pluie ? Chimie, électricité, pression, elles doivent bien avoir leurs antennes !

Fin septembre : juste avant la pluie.