Je ne me souviens plus comment m’est venue l’idée d’établir un jardin japonais dans un coin de la forêt-jardin.
Un jardin japonais au Landassou ? L’idée qu’on en a semble à première vue à l’opposé d’un espace hirsute et débraillé. Mais j’avais une paire de boutures de ginkgo, des rejets de bambous et de nandinas… Assez pour me donner envie de voir ce que l’on pouvait en faire, et entamer quelques recherches sur la culture japonaise du jardin, au-delà des clichés véhiculés par la mode.
Une certitude : adapter, emprunter, mais ne pas singer, éviter à tout prix le folklore. Donc éliminé, le torii auquel j’avais forcément pensé, puisqu’il signale un espace sacré, et que je ne suis pas shintoïste. Pas de symbolique artificiellement décalquée , de yin-yang, de tortue baillant après la lune. Pas de matériaux importés, de galets blancs ou noirs : la pierre doit être locale, ce qui réduit le choix au schiste gris-beige et au quartz blanc maculé. Pas de carillon de bambou, la faune (et les promeneurs) ont droit au silence.
J’ai progressivement fait miens quelques principes : l’espace doit être clos, l’ombre dominante. Etant donné que le Ségala est bocager, que la forêt-jardin est supposée devenir une forêt, l’adaptation ne sera pas révolutionnaire !
S’inspirer sans copier ne signifie pas faire n’importe quoi : un jardin japonais, lequel ? En deux millénaires se sont succédé des styles différents, parfois divergents. Les comprendre, faire un choix. Un petit espace, pas de tape-à-l’œil, un lieu particulier au cœur de la forêt-jardin : cela m’a orienté vers l’époque Momoyama, à fin du XVIème siècle, quand a été inventé le jardin de thé. C’est un espace de dimensions modestes, fût-il enchâssé au cœur d’un grand parc aristocratique. On doit y être isolé de l’agitation du monde, y trouver la paix et le détachement de soi qui vont avec la très codifiée cérémonie du thé. Donc deux jardins concentriques, chacun dérobé au regard tant qu’on n’en a pas franchi la porte. Des cheminements tortueux et des portes basses qui obligent le visiteur à ralentir, à regarder, à attendre. Une maison de thé élégante comme un pavillon mais sobre comme une cabane.
Pour les matériaux, faire au maximum avec ce qui se présentera à l’occasion : un tronçon de gros bambou offert par des amis, des fenêtres et un cercle de roue de charrette trouvés dans une benne d’encombrants, du bois de palette et des pierres de récupération, des éléments de ferronnerie détournés.
Près de huit ans après l’idée (mais la mise en place n’a qu’une paire d’années), voilà on l’on en est : une clôture extérieure de bambous vivants ou secs, un sentier en large S autour d’une clairière centrale et, juste derrière, adossé à la haie périphérique de la forêt-jardin, le jardin de thé isolé par une plantation serrée d’arbres et d’arbustes autour de la maison de thé. Où je bois plutôt du café.
Maintenant il faut que tout ça pousse, pour l’instant c’est une friche japonaise : le Japonais punk, ça n’est pas ce à quoi on songe en premier, mais ça existe…